Décès du cinéaste américain Sidney Lumet (1926 – 2011)

sidney Lumet

Le verdict est tombé en milieu de journée samedi. Un aprem’ de chien donc : Sidney Lumet est mort le 9 avril 2011 à l’âge de 86 ans dès suite d’un cancer.

Né en 1926 à Philadelphie d’un père comédien et d’une maman danseuse, Sidney Lumet a été un cinéaste important tout le long d’une carrière qui aura duré près de 50 ans et compte presque autant de films (46), la plupart très bons.

Acteur de théâtre puis réalisateur à la télévision pour CBS, son premier long-métrage de cinéaste est un coup de maître. Douze hommes en colère, adaptation d’une pièce de théâtre, est un huis-clos impressionnant, dans lequel Sidney Lumet démonte les rouages de l’appareil judiciaire américain à l’occasion d’un procès. La culpabilité du prévenu, qui ne fait d’abord aucun doute dans l’esprit des jurés, et totalement remise en question dès lors que le débat se met en place. Produit et joué par Henry Fonda, le film est brillant d’intelligence et de finesse, dans le propos comme dans la forme, et remporte l’Ours d’Or du festival de Berlin en 1957.

Les racines théâtrales de Sidney Lumet se retrouvent dans ces choix de films. Il adapte de nombreuses pièces de théâtres dont la très noire Descente d’Orphée de Tennessee Williams, laquelle devient au cinéma, avec Marlon Brando et Anna Magnani, L’Homme à la peau de Serpent (1959).  Il adapte également Vue du pont (60) d’après Arthur Miller (en France, avec Jean Sorel et des dialogues signés Jean Aurenche), Long voyage vers la nuit d’Eugene O’Neill et avec Katherine Hepburn (62), ou encore La Mouette de Tchekhov, avec Vanessa Redgrave,  James Mason et Simone Signoret (68).

Entre ces deux derniers, Sidney Lumet explore la question de la Shoah dans Le prêteur sur gage, (interprété par Rod Steiger, 1963) et réalise Point Limite, contre-point rigoureux et inquiétant de la satire de la guerre froide par Stanley Kubrick sortie la même année, Docteur Folamour en 1964. Sidney Lumet redirige pour l’occasion Henry Fonda, dans la peau du président des Etats-Unis.

Dans La Colline des hommes perdus en 1965 (avec Sean Connery et Vanessa Redgrave), Sydney Lumet dénonce l’organisation militaire américaine pendant la Seconde Guerre mondiale et son fonctionnement basé sur l’humiliation infligée aux soldats. A la même époque, il analyse la montée du fascisme en Europe à travers Le Groupe (1966).

Avec Le Dossier Anderson en 71, Sidney Lumet inaugure une série de films plutôt rudes sur les bas-fonds de la ville, la police et et le crime ; dont The Offense l’année suivante. Les deux films sont portés là encore par Sean Connery, star mondiale grâce à James Bond mais qui chez Lumet s’investit dans des rôles troubles, malsain dans le cas de The Offense, qui sont en complètes oppositions avec le personnage classieux de 007.

Serpico en 73, avec cette fois Al Pacino, est dans la même veine et dénonce la corruption généralisée au sein de la police de New York. Lumet dirigera de nouveau Pacino, dans le thriller social Une après-midi de Chien en 75. Les deux rôles sont parmi les plus impressionnantes incarnations de l’acteur et les films deux sommets dans les filmographies de l’un et de l’autre.

Entre ces deux films cultes, Lumet change de registre mais continue d’explorer les ficelles de la criminalité avec l’adaptation du Crime de l’Orient-Express de Agatha Christie. Albert Finney y incarne Hercule Poirot tandis que le reste du casting est particulièrement impressionnant. Sean Connery et Vanessa Redgrave, que l’on retrouve ici encore chez Lumet, y cotoient Lauren Bacall, Jacqueline Bisset, Jean-Pierre Cassel, Ingrid Bergman, Anthony Perkins, John Gielgud ou encore Richard Widmark.

En 1976 avec Network, Sidney Lumet réussit une satire féroce et cynique du capitalisme par le prisme de la télévision, son emprise sur la population, ses duperies, ses calculs, son obsession de l’audimat et du mercantilisme. Le film, brillant et aujourd’hui plus que jamais d’actualité, démontre une fois encore la profonde acuité d’un cinéaste toujours habile pour dénoncer les dysfonctionnements et les corruptions d’un système. Le film raflera 4 Oscars en 77, pour les acteurs principaux Faye Dunaway et Peter Finch ; pour Beatrice Straight, meilleure actrice dans un second rôle, et pour son scénario. Lumet est lui oublié. Il ne remportera d’ailleurs jamais la statuette du meilleur réalisateur (malgré 5 nominations) ou du meilleur film.

Après Equus en 77 et le film musical The Wiz en 78, Sidney Lumet réalise Le Prince de New York (82), honnête  polar avec Treat Williams en tête d’affiche. Le cinéaste réexplore ensuite le monde judiciaire à travers Le Verdict (82), d’après un scénario de David Mamet. Paul Newman, avocat dépressif et à la dérive, s’attaque à l’institution hospitalière pour défendre les intérêts d’une jeune femme dont la soeur est plongée dans un état végétatif irreversible à la suite d’une erreur médicale. James Mason, qui joue l’avocat de la défense, trouve là l’un de ses tous derniers rôles tandis que Bruce Willis y effectue lui ses débuts d’acteurs de cinéma. Le film, nommé plusieurs fois aux Oscars, échoue en 83 face à la razzia du Gandhi de Richard Attenborough.

Sidney Lumet s’infiltre dans le bien nommé Les Coulisses du pouvoir (politique) – avec notamment Richard Gere, Julie Christie, Gene Hackman et Denzel Washington (86) ; puis dirige Jane Fonda et Jeff Bridges dans Les lendemains du crime (87). Malgré la qualité et l’intérêt de ces films, c’est avec A bout de course (88) que l’on retrouve Sidney Lumet à son meilleur niveau, pour la cavale d’un couple d’activistes dans des Etats-Unis des années 70, alors engagés en guerre au Vietnam. Le jeune River Phoenix, dans un second rôle, joue là un des premiers grands rôles de sa courte carrière.

A l’aise dans le drame et la dénonciation, Sidney Lumet s’essaye avec moins  de réussite à la comédie avec Affaire de famille (89). Le film, oubliable,  marque les retrouvailles du cinéaste avec Sean Connery, ici en vieux cambrioleur qui enseigne le métier à son fils (Dustin Hoffman) et à son petit-fils (Matthew Broderick). Affaire de famille amorce dans le même temps une période  creuse pendant laquelle Sidney Lumet semble peiner à se renouveler. Une étrangère parmi nous (avec Mélanie Griffith) est sélectionné en compétition à Cannes en 1992 mais ne convainc pas. Pas plus que L’Avocat du diable, thriller opposant Rebecca De Mornay à Don Johnson (1993). Quant à son remake du Gloria de Cassavetes avec Sharon Stone en 1999, il est tout à la fois dispensable et le probable plus grand échec du cinéaste. Heureusement, Dans l’ombre de Manhattan en 1997 (avec Andy Garcia et Ian Holm) constitue un thriller très appréciable, pour ce qui est le retour des caméras de Lumet dans les prétoires de la justice.

Dans les années 2000, Sidney Lumet oeuvre d’abord pour la télévision. Il crée la série Tribunal Central (2001-2002) dont il réalise de nombreux épisodes, puis signe le téléfilm Strip Search pour HBO en 2004. L’année suivante, l’Académie des Oscars qui lui avait toujours refusé la moindre récompense, décerne à Sidney Lumet un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Il réalisera encore deux films pour le cinéma. Jugez-moi coupable (avec Vin Diesel, 2006) est une modeste comédie parodique du film de tribunal dont Lumet est sans doute le Roi.

En revanche, avec 7h58 ce matin là, Sidney Lumet réunit Ethan Hawk, Marisa Tomei et Philip Seymour Hoffmann, et renoue avec la noirceur qui a fait sa réputation. Ce sera son dernier film, mais dans une forme d’apothéose, merveilleux d’inventivité dans la mise en scène et la construction narrative, conclusion implacable et quasi miraculeuse d’une carrière longue, riche et exemplaire.

Benoît Thevenin

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Un commentaire sur “Décès du cinéaste américain Sidney Lumet (1926 – 2011)”

  1. selenie dit :

    Décidément cette année 2011 est une vraie hécatombe ! Encore un grand qui nous quitte…

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