Des épaules solides d’Ursula Meier (2003)

Il y a quelques semaines sortait sur les écrans « Home », le premier long-métrage cinéma d’Ursula Meier. La réalisatrice franco-suisse à pourtant déjà roulé sa bosse, avec notamment « Des épaules solides », téléfilm commandé en 2002 par Arte pour sa collection Masculin/Féminin.

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Et pourtant, Ursula Meier est une vraie cinéaste d’auteur, dans le sens ou son cinéma est l’expression d’un point de vue très personnel. Invité à réagir face au public a la suite de la présentation de ces films, elle nous expliquait d’ailleurs une partie de sa méthode.

Le cinéma d’Ursula Meier s’ingénie d’abord à tordre les régles convenue habituellement. Ce qui lie les films entre eux et le caractères obsessionnel des personnages en même temps que cette volonté qu’à la cinéaste, selon son propre aveu, « d’interroger le cinéma, la façon de filmer, expérimenter et questionner la place du spectateur par rapport au film ».

Cette recette on la retrouve dans Des Epaules solides, son premier long-métrage effectif même si pour la télévision. Puisque Ursula Meier aime partir de règles simples qu’elle respecte à la lettre tout en cherchant le moyen de les pervertir, là voilà qui applique strictement l’objet de la commande d’Arte : Masculin/Féminin.

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Des épaules solides va raconter le parcours d’une athlète adolescente obsédée littéralement par ses performances. Elle est douée, teigneuse et têtue à l’extrême. Seule son obsession la guide et celà l’amènera à adopter à terme un comportement inquiétant.

Etant donné le sujet du film, Ursula Meier a l’intelligence de balayer dès la séquence d’ouverture la question du dopage innérante aux a priori liés au sport et ses dérives. La question du dopage va toujours survolé (de très haut) l’intrigue, mais n’en constitue absolument pas le noeud. Ce qui intéresse la cinéaste dans son personnage, c’est sa quête psychologique et comment elle dérive vers l’obsession la moins rationnelle. On est dans un schéma très proche de ce qui se déroule dans Tous à table ou dans Home via le personnage d’Isabelle Huppert.

Masculin et féminin se mêlent d’abord sur la piste, puisque garçons et filles s’entraînent ensemble. Sabine, l’héroïne du film, souhaite se mesurer aux garçons et cherche en permanence la compétition avec eux. Elle s’amourache du nouveau venu, un garçon lui aussi doué pour l’athlé, et s’imagine aussi bien le défier que courir avec lui en tandem. Une des grandes idées de Sabine et de vouloir mettre garçons et filles sur la même ligne de départ et de n’établir des classement parallèle qu’à l’arrivée.

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Sabine est obsédée par ses performances et le championnat qui approche. La tentation du dopage ne s’impose jamais à elle mais elle en parle. Pour gagner, elle sait qu’elle doit travailler. Alors elle travaille dur, trop dur, jusqu’au surentrainement et surtout, s’évertue à ne pas écouter les conseils de son coach. Elle se sent incomprise et bientôt délaissée.

Il est intéressant de voir comment Sabine va finalement déraper jusqu’a adopter une conduite qui n’est pas dopante mais qui, dans son fantasme, en porte la marque. Sabine perd ses repères. Elle qui explique que le dopage ne l’intéresse pas, sombre dans une démarche extravagante qui s’y apparente mais sans s’en apercevoir.

L’obsession de Sabine est marquée aussi par sa quête, irrationnelle là encore, du détail. Elle introduit en cachette sur la piste une caméra vidéo pour pouvoir se filmer et ensuite analyser après coup chez elle sa façon de courir.

En introduisant cette caméra cachée, le personnage de Sabine offre à Ursula Meier le moyen de mêler savamment caméra 35 mm, et Caméra DV familiale. La petite caméra permet à Ursula Meier de filmer différemment les corps, de les ausculter au plus près. Il y a la quelque chose d’organique qui va finir par lier la pellicule de la bobine du film projeté directement aux acteurs, et plus particulièrement Sabine, bien sûr.

Ursula Meier nous disait donc à l’issue de la projection vouloir interroger perpétuellement le cinéma, la façon de faire du cinéma. Entre Des épaules solides et Home, et sans oublier Tous à Table – trois films formellement très différents les uns des autres –  elle démontre qu’elle y arrive déjà avec une maîtrise telle qu’elle se place d’ores et déjà parmi les jeunes cinéastes les plus intéressants, passionnant même, d’aujourd’hui.

Benoît Thevenin


Des épaules solides (TV) – Note pour ce film :
Première diffusion : 4 avril 2003 (Arte).


Lire aussi :

  1. Tous à table d’Ursula Meier (2001)
  2. Viva Laldjérie de Nadir Moknèche (2003)
  3. Kill Bill : volume 1 de Quentin Tarantino (2003)
  4. Qui a tué Bambi ? de Gilles Marchand (2003)
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Aucun commentaire sur “Des épaules solides d’Ursula Meier (2003)”

  1. Foxart dit :

    Hé mais je l’ai vu celui ci, lors de sa diffusion TV… Et j’avais adoré ça !
    Raison de plus pour me donner envie de voir Home… que j’ai raté cette année…

  2. Vlad dit :

    Coucou,

    Je dois être honnête avec toi, j’avais jamais entendu parler de ce film avant que tu le chroniques. Sinon, merci encore d’avoir voté pour les Alberts 2008 et si ca t’intéresse, j’ai publié sur mon blog le palmarès de cette année 😉

    A bientôt,
    Vlad

  3. cath dit :

    je suis super décue de ne pas avoir pu voir la dernière partie : j’en suis restée à son arrivée chez son voisin de bus, à la campagne. J’espère qu’il repassera pour que je puisse le voir tranquille et donc entier. J’ai beaucoup apprécié les choix de ce film.

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