L’Ile nue (Hadaka no shima) de Kaneto Shindo (1960)

Né d’une famille paysanne, Kaneto Shindo a longtemps observé le dur labeur de la terre par ses parents.
A l’aube des années 60, sa société de production affronte de lourdes difficultés économiques qui l’empêchent de se lancer dans un nouveau projet. Le cinéaste rassemble ce qui lui reste de moyens  et tourne L’île nue avec un budget dérisoire, loin des studios de Tokyo.

Kaneto Shindo plante sa caméra sur une île aride de l’archipel de Setonakaï et filme une famille de paysans dans son laborieux travail de la terre. L’approche presque documentaire de Shindo rappelle inévitablement Nanouk l’esquimau de Robert Flaherty (1922). Shindo pose sur ses personnages un regard qui est sans doute celui qu’il devait avoir sur le labeur de ses propres parents. La caméra observe le moindre geste, fait ressentir la lourdeur des sceaux d’eau que les deux parents transportent. L’île nue n’est pourtant pas un documentaire. Shindo revient à un cinéma épuré, contemplatif et muet, ou l’émotion ne peut-être transmise que par l’expressivité des acteurs, les corps qui se plient, les souffrances qu’ils endurent et que l’on devine.

Le cinéaste a fait le choix d’un film assez radical, sans le moindre dialogue, avec une narration simple et sans véritable enjeux. Shindo donne à voir la réalité du quotidien de ses paysans, comment la survie des habitants de l’île dépend entièrement de la culture des terres. Et si dans un premier temps, le rythme est lancinant et répétitif, la patience du spectateur n’est jamais éprouvée.

Shindo insère divers éléments simples (un sceau renversé, la pêche d’un poisson, …) qui permettent de déployer l’émotion. En collant son regard si près de ses acteurs, Shindo parvient à instaurer une véritable empathie entre le spectateurs et les personnages. Il ne  tombe pas pour autant dans une logique dégoulinante de compassion, malgré la musique, belle mais trop appuyée, et malgré la tragédie qui se joue sous nos yeux. L’équilibre est très fragile mais reste finalement bien tenu.

Le film est une véritable élégie naturaliste. A partir d’un cadre quasi documentaire, Shindo construit une fiction simple qui est aussi un véritable poème lyrique. Le décor et l’image sont sublimes, et si L’île nue fascine autant c’est aussi par ce fantastique travail de composition des plans.
Une oeuvre sincère d’une grande beauté (esthétique, émotionnelle) et humanité, primée au festival de Moscou en 1961, longtemps introuvable, resorti en salle à l’été 2008 et maintenant disponible en DVD chez Wild Side.

Benoît Thevenin


L’île nue – Note pour ce film :

Lire aussi :

  1. La Servante (Hanyo) de Kim Ki-young (1960)
  2. La Dolce Vita de Federico Fellini (1960)
  3. Mon nom est Tsotsi de Gavin Hood (2005)
  4. Big Man Japan (Dai Nipponjin) de Hitoshi Matsumoto (2007)
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