Les Harmonies Werckmeister (Werckmeister harmóniák) de Béla Tarr (2000)

J’ai découvert ce film il y a deux ans, en plein air, à l’occasion d’un festival. Ce fut une véritable expérience. Une révélation. Revoir cette oeuvre à la télévision, malgré l’étroitesse de l’écran, m’a permis de revivre cette vision magnifique.

Avant même de comprendre, il y a cet émerveillement visuel. Sombre, crépusculaire, voila le récit d’une descente aux enfers. Une descente sur le mode lyrique, mélancolique, au son d’un piano.  Un vieil homme cherche désespérément à accorder ce piano afin de restituer l’harmonie du clavecin. Le cadavre d’une baleine est exposé sur la place de ville à l’attention de cette population sinistre, cadavérique, icône de la misère sociale qui les habite tous.

Les Harmonies Werckmeister est un film humaniste. Chaque scène est filmée en plan séquences. Le premier nous projette d’emblée dans cette fable intemporelle ou les frontières du rationnel sont floues. Valuska, le facteur, fait mimer par les clients, « clochard célestes » d’un bar,  le mouvement des planètes du système solaires jusqu’à reproduire une éclipse totale de soleil. Cette danse évoque une première fois les harmonies qui imprègnent le film. De cette fusion des matières va émaner le chaos, une obscurité, une peur… une ambiance de fin du monde.

Le cadavre de la baleine se décompose. Comme les âmes de ce peuple damné. Un démon invisible, le prince, prince des ténèbres peut-être, manipule dans l’ombre et amène la communauté à la destruction. L’écho du premier plan-séquence survient alors. Il est comme son antithèse. Une foule avance. Les bottes battent le pavé. Elles rythment cette marche silencieuse. On ne sait où cette foule va mais le processus de destruction est enclenché. Ces corps marqués par le poids des années, par le poids du labeur, par le poids de la souffrance… avancent mécaniquement. Jusqu’à un hôpital. Il n’a pas su les soigner de leurs maladies. Comme une vengeance, ils viennent tout détruire. Soudain, une lumière, et des vieillards innocents. Une prise de conscience s’opère. Ils font demi-tour. Un retour désordonné ou se lit le poids du désespoir et peut-être même de la honte. Fin de l’éclipse. Voila suggérée l’idée d’un cycle, comme si tout dans l’univers était soumis à une loi informelle garante du renouvellement incessant des choses. L’Homme est ainsi prisonnier de ces cycles, prisonnier d’une Histoire infinie.

La baleine renvoie à cette idée de décomposition du monde, mais elle symbolise aussi un passage. Quand elle déserte la place on sait qu’elle reviendra. De fait, ces Harmonies sont ponctués de dissonances. Il faut les réparer car, de toutes les manières, les harmonies prévalent. L’humanité est ainsi en proie a ses contradictions, celles la même qui la confronte à sa dimension la plus tragique. Le rêve et l’utopie opposés au désespoir. C’est à cette dualité que Bela Tarr nous convie. A l’instar de Dostoïevski, ou Kafka, il peint la précarité dont l’Homme et la victime pour mieux nous faire sentir le caractère précieux de chacune de nos vies. Les Harmonies de Werckmeister est d’abord un voyage sensoriel. « Entre harmonie et dissonance, ordre et désordre, visible et invisible, vérité et mensonge, se jouent et se rejouent éternellement l’insondable destinée de l’humanité et du cosmos. Et c’est à ce désastre appréhendé, traversé de fulgurances visionnaires et d’un grand rire sardonique, que nous convie le cinéma radical de Bela Tarr ». Une œuvre qui ne cessera de vous hanter.

B.T


Les Harmonies Werckmeister – Note pour ce film :

Sortie française le 19 février 2003


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Aucun commentaire sur “Les Harmonies Werckmeister (Werckmeister harmóniák) de Béla Tarr (2000)”

  1. Mini dit :

    Très bon film, en effet.
    Si vous avez aimé, je vous conseille Satantango, du même réalisateur, grandiose! :)

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