Mulholland Drive de David Lynch (2001)

Texte écrit en 2001 au moment de la sortie du film.

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I. Tentative de dépouillement de l’intrigue

Nous partons du principe que Mulholland Drive se résumerait au final à un triangle amoureux compliqué par le fait que les visages changent sans modifier leurs fonctions dans l’histoire.  Il y aurait donc trois personnages principaux : l’actrice blonde, l’actrice brune, le réalisateur du « film dans le film ». Nous avons tenter à partir de là de décortiquer aussi rationnellement que possible l’intrigue de Mulholland Drive. Il ne s’agit là que d’une proposition de lecture.

1. Une actrice blonde débarque de sa campagne natale, l’Ontario, pour Hollywood ou elle espère, comme beaucoup avant elle; devenir célèbre.
2. Elle passe une audition pour un film mais se fait voler la vedette par une autre actrice, brune.
3. Cet évènement ne les empêche pas de devenir amie, puis amantes.
4. Elles louent une maison ensemble et vivent en couple.
5. L’actrice brune commence à tomber amoureuse du réalisateur du film dans lequel elle joue, suscitant la jalousie de son amie.
6. La blonde chasse la brune de la maison. Cette dernière s’installe dans une maison voisine.
7. Le réalisateur est déchu de ses fonctions par ses producteurs après qu’ils aient essayer de lui imposer une actrice pour le premier rôle.
8. Viré, il retourne chez lui ou il surprend son épouse dans le lit avec un autre homme.
9. Le réalisateur divorce et annonce ensuite son mariage avec l’actrice brune.
10. L’actrice blonde, désespérée d’être abandonnée, engage un tueur à gage pour assassiner son amie brune.
11. Retour au point de départ du film : l’actrice brune sur le point de se faire tuée.

David Lynch livre une version schyzo de l’histoire initiale en mélangeant les points de vues de tous les protagonistes. Or, ceux-ci ont tous leur propre regard sur l’histoire, selon leurs positions dans l’intrigue.

Tout ceci renvoie à une idée de cinéma  que l’on retrouve chez Luis Bunuel avec Un Chien Andalou. Comme dans ce film, les séquences considérée séparément du bloc que constitue le film apparaissent logiques dans leurs déroulement. C’est l’enchaînement de ces séquences qui provoque un sentiment absurde. Dans Mulholland Drive, les enchaînements reposent toujours sur un élément narratif le justifiant, sans pour autant garantir sa cohérence. L’expérience du cinéma de Lynch s’approche ainsi de l’idée de l’expérience d’un rêve.

Le témoignage de Gustav Hasford, coscénariste avec Lynch de Sailor et Lula et Lost Highway, enrichit l’analyse et la compréhension des derniers films de David Lynch. « David et moi pensons que les films sont, ou devraient, être comme des rêves. Quand le spectateur entre dans le cinéma, le monde « réel » est fermé dehors. Maintenant, il se retrouve esclave des cinéastes, il doit abandonner toute résistance pour permettre aux images de déferler sur lui, de le noyer pendant deux heures environs ». Cette citation est d’une certaine manière la définition exacte des délires schyzo de David Lynch. Et si ces films sont comme des rêves, la scène du « Silencio » dans Mullholand Drive est là pour nous le rappeler encore : « Ce que je vois n’est pas toujours ce qui est » nous dit le magicien…

II. Comment « Lost Highway » est-il devenu un film  ?

LH

Pour comprendre que chez Lynch il n’y a finalement peut-être rien à comprendre, il faut sans doute remonter à la génèse de Lost Highway telle que nous la raconte Barry Gifford :

« David avait pris une option sur mon roman Les Gens de la nuit (…). Il adorait en particulier deux phrases du film dont une, lorsqu’une femme dit à une autre : « toi et moi, on est juste deux apaches qui foncent comme des dingues sur la route perdue ». David adorait cette route perdue, Lost Highway, mais quelle signification cela avait-il ? Il voulait le savoir. Quel était le sens profond de cette expression . Il avait une idée de départ, m’a t’il confié. Si un jour quelqu’un se réveillait pour découvrir qu’il était quelqu’un d’autre ? Une personne entièrement différente de celle qu’il était la veille. D’accord lui ai-je dit, c’est Kafka, La Métamorphose. Mais nous ne voulions pas que cette personne se change en cafard. Voila donc de quoi nous devions partir : un titre, Lost Highway ; une expression qui se situait près de la fin du roman Les Gens de la nuit (« Vous et moi, on est vraiment capable d’être bien plus horrible que ces fumiers, pas vrai ? ») ; la notion de changement irréfutable ; et une idée qu’avait David concernant un individu qui recevait d’une source inconnue des enregistrements de sa propre vie. Bon, il ne nous restait plus qu’a bâtir une histoire cohérente à partir de ça. David et moi nous sommes assis l’un en face de l’autre et nous avons essayer de fabriquer les morceaux du puzzle… ».

Benoît Thevenin, novembre 2001.

Lire aussi :

  1. Drive de Nicolas Winding Refn (2011)
  2. Tous à table d’Ursula Meier (2001)
  3. The Warrior d’Asif Kapadia (2001)
  4. Requiem for a dream de Darren Aronofsky (2001)
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