The Messenger d’Oren Moverman (2009)

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De retour d’Irak, l’officier Will Montgomery (Ben Foster) est chargé d’une nouvelle et délicate mission : annoncer aux familles la mort au combat des soldats en Irak. Le sergent Stone (Woody Harrelsson) va le former et l’accompagner…

Avec ce sujet, Oren Moverman opère pour son premier long-métrage de cinéaste, à une radiographie des conséquences civiles aux USA  de l’occupation américaine depuis 2003 de l’Irak. Paul Haggis s’était déjà aventuré sur un terrain proche via le très important et réussit Dans la Vallée d’Elah, mais les films autour de cette thématique là restent rares, tout du moins concernant ceux qui ont un véritable sens, une profondeur et un discours clairement établit (1).

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Le job proposé à Will Montgomery n’est dans le fond pas très différent de celui de ses médecins qui annoncent aux familles la perte d’un proche, mais ce qui change du tout au tout, c’est l’injustice bien plus profonde encore qui s’abbat soudain sur ses familles, dès lors qu’elle comprennent que leurs fils ou leurs maris partis en guerre ne reviendront pas et qu’ils ont sans doute vécu là-bas l’Enfer. A l’hôpital, l’institution n’est a priori par responsable de la mort d’un patient, elle se révèle juste à un moment donné incapable de défier la mort. Dans le cas d’un conflit de plus en plus perçu, à mesure que les semaines, les mois, les années passent, comme injuste, l’institution est en revanche toute entière responsable.

Les soldats chargés de transmettre l’effroyable nouvelle doivent faire preuve d’une délicatesse de tous les instants, du moindre détail. Il doivent être clairs dans leurs propos, annoncer la nouvelle dans un timing précis, avant que les familles ne l’apprennent par les médias etc.

La scène la plus forte d’Il faut sauver le soldat Ryan, c’est cette séquence, juste après l’époustouflante demi-heure du débarquement en Normandie, ou madame Ryan, de la fenêtre de sa cuisine, voit arriver au loin le cortège de militaire venu lui annoncer la perte de ses fils. Elle sort de la maison et s’effondre sur le palier, avant que la moindre parole ne soit prononcée. C’est cet espace plus que ténu, fragile et sensible, que The Messenger explore.

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Le film est impressionnant pour le rapport qui se tisse entre l’officier Montgomery  et le Sergent Stone. Ben Foster semble malgré sa jeunesse avoir déjà tout vu, tout connu. Il incarne ne serait-ce que physiquement les traumatismes psychologiques nés de cette guerre. Woody Harrelson, froid, précis, charismatique, évolue sur un autre registre. Lui a été apparemment préservé des combats et il est maintenant vacciné contre l’émotion que suggère sa tâche tant elle est devenue pour lui routinière.

The Messenger est particulièrement sensible et brillant, au moins dans sa première moitié. Les deux personnages visitent quelques familles très différentes, et d’une certaine manière, Oren Moverman augmente le poid du pathos en invitant les anges de la mort à côtoyer des situations (certes) un peu caricaturales, déjà fragile et hautement sensibles, qu’ils ne pouvaient s’attendre à rencontrer. Les deux soldats ont une procédure à respecter, afin de prévenir toute insulte de la douleur des familles par une quelconque maladresse. Il est évident que la procédure ne prévoit aucun cas particulier, et c’est à cet instant que la charge des deux soldats devient encore plus lourde et inconfortable, qui nécessite une adaptation qui n’est en théorie pas autorisée.

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Pour ses deux personnages, le plus dur aussi est d’enchaîner les mauvaises nouvelles, de se limiter à cette fonction là, sans échappatoire pour évacuer la détresse engendrée. Le médecin dans un hôpital bénéficie d’une porte de sortie par la gratification qu’il a à sauver des personnes plus souvent qu’il ne les perd. Le soldat est livré au sordide sans aucun parachute…

Le film perd un peu de son intensité par le chemin qu’il emprunte dans la seconde partie. L’officier Montgomery éprouve une fascination étrange pour une femme (Samantha Morton) à qui il a annoncé la mort de son mari. Il se met à la suivre, l’observer et commence ensuite à rentrer dans sa vie, sans que l’on perçoive vraiment quel est le jeu qu’il joue. Le film menaçait de vite tourner en rond et cette direction prise par le récit est quelque part salutaire. Elle ne convainc malheureusement qu’a moitié, surtout en regard de la qualité de ce qui a précédé. On perçoit quelques longueurs, un intérêt qui baisse, mais le contenu n’est pas pour autant sans fond. Le réalisateur poursuit de cette manière là le travail d’introspection de son personnages principal, son travail de reconstruction car lui aussi à été confronté au pire. Il ne délaisse pas non plus le personnage du Sergent Stone, lequel révèle une fragilité inattendue sous l’imposante carapace qu’il s’est forgé pour se protéger.

The Messenger est un film d’une profonde finesse, intelligent, honnête, profondément respectueux de son sujet et bouleversant.

Benoît Thevenin

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(1) Francis Ford Coppola s’était intéressé de près lui aussi à ce sujet – mais relatif à la guerre du Viêt Nam bien sûr,  avec Jardin de Pierres (Garden of stone) en 1987.


The Messenger – Note pour ce film :


Lire aussi :

  1. Jaffa (Kalat Hayam) de Keren Yedaya (2009)
  2. Jennifer’s Body de Karyn Kusama (2009)
  3. Les chats persans (Kasi az gorbehaye Irani khabar Nadareh) de Bahman Ghobadi (2009)
  4. Kinatay de Brillante Mendoza (2009)
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