Le Sixième sens (Manhunter) de Michael Mann (1987)

le sixieme sens

La notoriété, le personnage de Hannibal Lecter la doit à Jonathan Demme et son Silence des agneaux, d’après le roman de Thomas Harris. Ce qui se sait un peu moins, c’est qu’Hannibal jouait déjà au jeu du chat et de la souris dans Dragon Rouge, qu’Harris publia en 81, sept ans avant Le Silence des agneaux. L’adaptation par Brett Ratner de Dragon rouge n’était pas la première. Michael Mann s’était frotté avant lui au psychopathe via Le Sixième Sens (aka Manhunter), qu’il ne faut surtout pas confondre avec le thriller surnaturel de Shyamalan starring Bruce Willis.

Avant de le voir se confronter à Clarice Starling, dans un face à face devenu mythique, il a bien fallu que quelqu’un enferme Hannibal dans sa prison. La prise revient à Will Graham, un brillant profiler du FBI qui arrive à se glisser dans la peau de celui qui le traque et déduit les failles dans le parcours criminel de sa proie.

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Dans Le Sixième Sens, Hannibal se nomme Lektor plutôt que Lecter, mais le résultat est le même. Le tueur est déjà derrière les barreaux, fait preuve d’un raffinement certain même si pas autant délectable que la façon dont Anthony Hopkins interprètera plus tard le personnage. Will Graham enquête sur une série de meurtres et se tournera par moments vers Lecter pour comprendre mieux la démarche du tueur en série qu’il pourchasse. Le face à face entre Graham et Lecter ne constitue pas l’épicentre de l’intrigue, au contraire de la réadaptation par Ratner du livre qui lui avait comme objectif d’offrir une suite logique a l’expérience vécue par les spectateurs à travers Le Silence des agneaux.

Si contrairement au film de Ratner, celui de Michael Mann ne porte pas le même titre que le roman originel, c’est probablement parce que Mann s’approprie l’histoire, se sert de la trame principale pour explorer des thématiques personnelles, sans chercher à être absolument fidèle au livre. Ainsi Michael Mann montre un Graham qui n’est absolument pas dépendant de Lecter (mais ce fait là figurait déjà dans le roman), qui se sert seulement de lui pour avancer dans sa démarche. Graham n’enquête pas seulement, il est en quête, comme un chasseur après une proie, d’ou le titre original bien plus juste que le titre français qui conditionne une fausse interprétation du personnage de Graham. Le profiler est contaminé par l’affaire, il ne vit plus qu’a travers le personnage maléfique qu’il poursuit. Le mal ronge le policier, réduit de plus en plus à un comportement instinctif et animal.

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Après des débuts prometteurs avec Le Solitaire, Michael Mann ne convainc pas tout de suite le grand public de son talent. La Forteresse Noire est un film mutilé par les producteurs (encore aujourd’hui) qui n’aura pas trouvé son public. Manhunter est également un échec public à sa sortie. Pourtant le film est incontestablement le meilleur de tous les films mettant en scène Lecter, ou tout au moins l’égal, dans un style très différent, du film de Demme. Si la version de Dragon Rouge par Mann n’a pas marqué à sa sortie, c’est probablement parce que le cinéaste livre un film atypique, très stylisé, et qui ne ressemble surtout pas à un classique polar ou film de tueurs en série. En revanche, avec le recul, on s’aperçoit que Manhunter est fortement emprunt de la signature de son auteur : une image léchée, des choix de focales ou des angles de prises de vues quelques peu singuliers etc. Le film se déroule aussi quasi intégralement la nuit, ce qui fait sa marque de fabrique, puisque nécessairement le cinéaste travaille son image et ne se base pas d’abord sur une lumière naturelle. Cela donne à Manhunter, comme au Solitaire ou encore Heat et Collateral plus tard, des allures de film crépusculaire.

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L’impression est renforcée par la bande-son du film, qui lui confère là encore toute son ambiance. Mann délaisse le groupe Tangerine Dream mais pas les synthés. L’utilisation de la musique est particulièrement brillante, participe d’un certain étouffement tout au long de l’intrigue. Preuve de cette maîtrise intelligente, cette séquence quasi finale, véritable morceau de bravoure du film, dans lequel Mann colle à ses images la chanson du groupe Iron Butterfly, In A Gadda Da vida. La séquence est d’une intensité redoutable, et particulièrement opportune à ce moment là du métrage.

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Le Sixième Sens est un véritable film d’auteur, par lequel Mann affute un peu plus son style, entre réalisme et une esthétique de mise en scène très travaillée. Le film est important plus pour la place qu’il s’octroie dans la filmo de son cinéaste, plutôt qu’à titre comparatif avec les films de la « Saga Lecter ».

Benoît Thevenin


Le Sixième sens – Note pour ce film :

Sortie française le 22 avril 1987

Lire aussi :

  1. Le Solitaire (Thief) de Michael Mann (1981)
  2. Ali de Michael Mann (2002)
  3. La Forteresse Noire (The Keep) de Michael Mann (1984)
  4. Collateral de Michael Mann (2004)
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Aucun commentaire sur “Le Sixième sens (Manhunter) de Michael Mann (1987)”

  1. Foxart dit :

    J’aime beaucoup ce film, mais je me souviens d’un beau succès critique à l’époque, dans le même genre que l’accueil réservé à La forteresse noire…
    Mais, bon à l’époque je lisais surtout Starfix, Mad Movies & L’écran fantastique… L’époque où tout le monde se pinçait le nez en parlant de Carpenter, Romero, Argento, Cronenberg… sauf cette presse là !
    Le temps leur a donné raison et ces deux films m’avaient beaucoup marqué en leur temps… On trouve ce 6ème sens en DVD ?

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