La Nuit américaine de François Truffaut (1973)

Véritable déclaration d’amour au cinéma, La Nuit américaine est un film tout de même un peu étrange dans le parcours de François Truffaut. L’idée a été soufflée par Jean-Luc Godard, l’ex-compagnon de route du cinéaste au début de leurs aventures cinéphiles et de cinéastes au tournant des années 50-60, devenu meilleur ennemi après mai 68 :  Godard accusa Truffaut de présenter une vision complaisante de la façon de faire des films et, plus encore, de défendre une manière de faire du cinéma à l’ancienne soit une façon de signifier au cinéaste-trublion des Quatre Cents coups qu’il s’est renié. Il est vrai que Truffaut n’est plus tout à fait le cinéaste de ses débuts mais il reste un réalisateur consciencieux et amoureux de son travail, de telle sorte que La Nuit américaine est effectivement (sans doute) la plus belle déclaration d’amour faite au Septième Art.

François Truffaut campe lui-même le rôle de Ferrand, le réalisateur de Je vous présente Paméla, mélo fictif de série B dont La Nuit américaine se présente finalement comme le making-of. On retrouve tout le cinéma de Truffaut dans La Nuit américaine, et notamment Jean-Pierre Léaud qui est l’acteur qu’il a le plus souvent dirigé. Pour la seconde fois depuis Les Deux anglaises et le continent, Léaud interprète un rôle autre que celui d’Antoine Doinel. Voilà qui est très anecdotique car le personnage – comme celui de Claude dans Les Deux anglaises d’ailleurs – rappelle en de nombreuses caractéristiques, et du fait de la façon de jouer de Léaud, ce fameux personnage d’Antoine Doinel.

Truffaut était un cinéaste mélancolique, parfois dépressif mais qui aura en tous les cas souvent souffert, parfois à cause de ses films. Il défend dans La Nuit américaine une belle idée qui ne pouvait qu’être la véritable devise du cinéaste : le cinéma nous soigne des douleurs de l’existence. L’une des scènes les plus célèbres de La Nuit américaine, et même du cinéma de Truffaut dans son ensemble, va complètement dans ce sens. Ferrand console Alphonse (Léaud) d’un échec sentimental : « Les films sont plus harmonieux que la vie. Il n’y a pas d’embouteillages dans les films, pas de temps mort. Les films avancent comme des trains, tu comprends, comme des trains dans la nuit. Des gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est fait pour être heureux dans le travail, dans notre travail de cinéma. »

La Nuit américaine révèle donc bien plus qu’une méthode Truffaut. Le film est une authentique profession de fois. La démarche du cinéaste est on ne peut plus sincère, quand bien même, comme Godard le regrettait, « le metteur en scène est le seul à ne pas baiser ». La pudeur Truffaldienne dans toute sa splendeur.

La Nuit américaine est un des films de Truffaut les plus populaires, parce qu’il ne s’adresse pas qu’au amoureux du cinéma qui pour beaucoup apprécient cette vision romantique du tournage d’un film. Kubrick disait « Quiconque a eu le privilège de réaliser un film est conscient que c’est comme vouloir écrire Guerre et Paix dans l’auto-tamponneuse d’un parc d’attraction (…)« . La Nuit américaine répond mal à cette définition. Et si le film est si populaire même auprès de ceux que le processus créatif indiffère, c’est parce que Truffaut construit également son film en marivaudage : les personnages du film dans le film se séduisent, s’aiment et se séparent, de la même manière qu’ils le font souvent dans les films de Truffaut en général. C’est un ravissement car on est tour à train éprit par la magie du film en train de se faire, et balladé d’un sentiment à un autre. La Nuit américaine n’est pas la vie, il est plus harmonieux qu’elle, et c’est un précieux cadeaux que Truffaut nous offre là.

Benoît Thevenin


La Nuit américaine – Note pour ce film :

Sortie française le 24 mai 1973


Lire aussi :

  1. Les Quatre Cents Coups de François Truffaut (1959)
  2. Antoine et Colette de François Truffaut (1962)
  3. L’Amour en fuite de François Truffaut (1979)
  4. Baisers volés de François Truffaut (1968)
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Aucun commentaire sur “La Nuit américaine de François Truffaut (1973)”

  1. Denis L. dit :

    Ce film est génial. Je prends toujours du plaisir à le revoir.

  2. Foxart dit :

    Chef d’oeuvre absolu !
    je vois que tu te refais l’intégrale Truffaut…
    C’est très bien… je me l’était faite quand j’ai eu une vingtaine d’année, et on a prévu de se refaire ça en couple passée la quarantaine… dès qu’on aura fini l’intégrale Demy et avant la sortie de l’intégrale Varda lol

  3. ilestcinqheures dit :

    « L’idée a été soufflée par Jean-Luc Godard, l’ex-compagnon de route du cinéaste au début de leurs aventures cinéphiles et de cinéastes au tournant des années 50-60″…
    On trouve aussi dans les entretiens Hitchcock/Truffaut des traces de ce projet. Habillement, Truffaut y amène Sir Alfred à livrer ses secrets de fabrication tandis que germe en lui l’idée de tourner un film sur un film en train de se faire.
    Depuis que j’ai vu ce film, je ne voyage qu’en train de nuit.
    Bien à vous.

  4. PAC dit :

    Juste une petite faute : On dit
    « une authentique profession de foi » et non « une authentique profession de fois » :)

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