Baccalauréat de Cristian Mungiu (2016)

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Romeo veut le meilleur pour sa fille Eliza, et pour lui, cela équivaut à la laisser partir à Londres où elle pourra poursuivre ses études et commencer à construire sa vie. La jeune fille, brillante élève, n’a plus qu’a obtenir son baccalauréat, et obtenir la note de 18 pour bénéficier de la bourse qui lui permettra de quitter son pays, la Roumanie. Ce serait une formalité si la jeune fille n’était pas agressée à quelques encablures de l’examen. Choquée et blessée, Eliza voit ses certitudes se désagréger.

Les personnages de Cristian Mungiu sont tout à la fois des victimes ordinaires du fonctionnement et des lois de la société, mais aussi des personnages en proie à un questionnement moral brutal qui pose la question de leur place dans cette même société. Dans Quatre mois, trois semaines et deux jours, Gabita et Otilia s’opposent à la pression de l’Etat totalitaire de Ceaucescu en transgressant un interdit fondamental, celui de l’avortement. Dans Au-delà des collines, l’amour entre Alina et Voichita n’est possible qu’au prix d’un arrachement à la pression morale exercée par l’Eglise Orthodoxe sur toute la société roumaine. Dans ces deux films, il est à chaque fois question du sauvetage d’une jeune femme fragile, pour qu’elles ne se soumettent pas aux hachoirs du système en place, et pour qu’elles s’émancipent.

C’est exactement cette quête que Romeo poursuit lui aussi, pour sa fille, dans Baccalauréat. Le départ d’Eliza vers Londres, c’est de son point de vue la seule voie possible pour qu’elle ne gâche pas son avenir. Lui, modeste médecin dans un hôpital, est à un point de sa vie où les perspectives sont effacées. Son mariage bat de l’aile, il a une maîtresse, et il est installé dans une routine mortifère qui le conduira tout droit à la solitude.

Pour sauver l’avenir d’Eliza, Romeo sollicite les faveurs de ses connaissances haut placées, moyennant services. Il met ainsi le doigt dans l’engrenage de la corruption la plus ordinaire. S’il perd progressivement pied jusqu’à remettre en question ses principes moraux, les compromissions auxquels il se soumet, c’est précisément ce qu’il ne veut pas pour sa fille et la raison même pour laquelle il se sacrifie, quitte à risquer de la décevoir elle-même.

Par sa mise en scène en longs plans-séquences, Cristian Mungiu impose sa patte et affirme sa grande maîtrise. Le cinéaste est maître dans l’art d’organiser l’espace et faire vivre les situations. C’est comme cela qu’il parvient, non seulement à une observation méticuleuse des faits, mais aussi à la construction d’une véritable montée en tension. C’est en effet un film d’une grande intensité. Tout est taillé au cordeau, rien n’est inutile, et la narration va toujours droit au but. Mungiu ne s’égare jamais, la mécanique de son récit est précise et implacable, sans être étouffante. Cette fulgurance narrative, tout autant que la maestria de la réalisation et l’intelligence du propos, c’est ce qui fait de Mungiu le très grand cinéaste qu’il est aujourd’hui.

Benoît Thevenin

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