Sieranevada de Cristi Puiu (2016)

sieranevada

 

Cinéaste de l’observation, Cristi Puiu a largement contribué à l’essor du jeune cinéma roumain avec le monumental La Mort de Dante Lazarescu (2005), coup de maître largement acclamé par les cinéphiles de part le monde. Sieranevada, son troisième long-métrage seulement, signale son retour six ans après la présentation de Aurora à Un Certain Regard (Cannes 2010).

En Roumanie, selon la tradition orthodoxe, lorsqu’une personne meurt, sa famille et ses amis se réunissent à plusieurs intervalles ( quarante jours, un an et sept ans plus tard), pour commémorer son souvenir. Ici, Cristi Puiu nous introduit dans l’intimité d’une famille, quarante jours après le décès du père, dans un appartement à Bucarest. Dans l’attente d’un prêtre pour prononcer la bénédiction, et alors que le grand repas se prépare, les retrouvailles se scellent et les langues se délient.

Le film se déroule pour l’essentiel dans le huis clos d’un appartement étroit, et c’est dans ce cadre limité que Cristi Puiu orchestre malgré tout un véritable ballet de personnages. Les corps bougent, la parole claque, et au milieu de toute cette agitation, la caméra ne perd aucune miette et ne sacrifie personne. Le tour-de-force est d’abord là, dans le déploiement discret d’une mise en scène à la fois précise, ample et qui ne gâche rien.

Pour combler la longue attente avant de pouvoir passer à table, les personnages n’ont rien d’autre à faire que de laisser libre-court à leur parole. De fait, Sieranevada est un film très bavard, et c’est dans la juxtaposition des divers sujets abordés, que le film trouve un sens général.

L’un des frères expose ses thèses conspirationnistes à propos notamment des attentats du 11 septembre 2001 à New York, une vielle dame se lance elle dans la défense du bilan de la dictature communiste de Ceaucescu. Les discussions s’embrasent et révèlent peu à peu les rapports de force au sein de la famille, l’emprise des uns, le malaise qui peut peser sur d’autres.

Le sens émerge cependant bien au delà de la seule introspection familiale. Ce qui intéresse le cinéaste et ce qui fini par nous interpeller nous spectateurs, c’est cette remise en question de l’histoire collective qui est enseignée par le pouvoir aux citoyens. Il y a d’un côté l’expérience personnelle, de l’autre la croyance dans le récit historique.

Il faut alors imaginer le bouleversement intime que provoque la chute d’un régime totalitaire comme celui en Roumanie de Ceaucescu. Quand le régime s’effondre, ce n’est pas seulement l’Histoire qui bascule, c’est aussi une manière de fonder le récit national qui craquèle soudain face au poids d’une nouvelle vérité venue de l’extérieur. Dès lors, la croyance peut sans cesse être remise en cause, car il n’y a pas de bonne raison suffisante à l’acceptation d’une  quelconque version officielle. C’est tout le sujet du film, et son principal intérêt. Il ne verse pas du tout dans le conspirationnisme, il suggère seulement qu’il est bien naturel de douter et de poser des questions.

Benoît Thevenin

Lire aussi :

  1. La Mort de Dante Lazarescu de Cristi Puiu (2005)
  2. Mal de pierres de Nicole Garcia (2016)
  3. Baccalauréat de Cristian Mungiu (2016)
  4. 500M800M de Yao Tian (2016)
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