Mia Madre de Nanni Moretti (2015)

Cela fait maintenant plus de vingt ans que Nanni Moretti entretien une relation fusionnelle avec le Festival de Cannes. Présent, avec chacun de ses films – et sans discontinuer – en compétition officielle depuis 1994 et Journal intime (prix de la mise en scène), le parrain du cinéma italien a été le président du jury en 2012, et l’on oublie évidemment pas que sa Chambre du fils a reçu la Palme d’Or en 2001. La présence en compétition à Cannes 2015 de Mia Madre est quelque part tout ce qu’il y a de plus naturelle.

Si Moretti joue, comme souvent, dans son propre film, il s’est cette fois accordé un rôle tout à fait secondaire. La tête d’affiche est tenue par Margherita Buy, qu’il avait déjà dirigé dans ses deux derniers films, Le Caïman (2006) et Habemus papam (2011). La comédienne incarne une réalisatrice de cinéma en train de tourner un film à dimension sociale alors que dans le même temps, elle doit affronter dans sa vie privée la maladie qui ronge sa mère. Nanni Moretti apparait lui en retrait, dans le rôle du frère de la cinéaste. Nul ne doute que ce personnage est une sorte d’alter ego de Moretti lui-même, mais en confiant ce rôle à quelqu’un d’autre, celui qui s’est tant mis en scène par la passé dans des autobiographies assumées, ne cherche t’il pas à signifier que cette fois, il ne parle pas directement de lui ?

Le film se partage entre trois temps. D’abord, celui de la première partie du tournage, dans laquelle la réalisatrice semble tourner, sans grande conviction, un film engagé socialement, mais qui parait illustrer la fin des idéaux. Il y a ensuite la seconde partie du tournage, celle dans laquelle un comédien américain quelque peu has been et mythomane (John Turturro) débarque sur le plateau et renverse tout. Il y a enfin la relation intime entre une femme un peu paumée – elle même maman célibataire d’une adolescente – et sa mère en train de mourir.

L’équilibre entre ces trois aspects est très bien tenu, même si quand même de façon un peu inégale. Il faut attendre l’arrivée de John Turturro dans le récit pour qu’enfin le film se sorte de l’espèce de torpeur dans laquelle il paraissait jusque là s’embourber. Le comédien renoue avec le même genre de personnage loufoque qu’il a pu incarner, en particulier dans The Big Lebowski des frères Coen. Soudain, l’on rit beaucoup, et la satire du milieu du cinéma qui commençait laborieusement à s’esquisser prend, grâce à son personnage, une direction parodique bienvenue et raffraîchissante. En contre-point, quand Margherita visite sa maman à l’hôpital, le film rebascule dans un registre sensible et triste. Moretti avait déjà prouvé avec La Chambre du fils sa capacité a créer de l’émotion tout en respectant la pudeur de ses personnages et sans faire preuve de trop de sensiblerie. Avec Mia Madre, il y parvient de la même manière. C’est ce mélange, plein de justesse, entre les rires et la mélancolie la plus amère, qui fait que ce film touche et procure tant d’émotions.

B.T

Lire aussi :

  1. Le Caïman (Il caimano) de Nanni Moretti (2006)
  2. Habemus Papam de Nanni Moretti (2011)
  3. Mother of tears (La Terza madre) de Dario Argento (2007)
  4. Notre petite soeur de Hirokazu Kore-eda (2015)
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