Sommeil d’hiver de Nuri Bilge Ceylan (2014)

 

Le titre très Bergmanien du nouveau film de Nuri Bilge Ceylan dévoile sans tromperie sur la marchandise le sens de sa démarche. Le cinéaste turc s’inscrit de plus en plus nettement dans les pas du maitre suédois, tout en restant dans l’exacte continuité de ce qu’il propose depuis ses débuts.

Sommeil d’hiver est long (3h15 qui peuvent être effrayante sur le papier), mais cette durée laisse le temps au film de déployer toutes ces facettes, d’explorer au plus profonds les tourments de l’âme humaine. Dans un mouvement parfaitement inverse, la mise en scène dévoile des décors qui vont des paysages anatoliens absolument sublimes à l’enfermement d’un huis clos ; ou bien de la réflexion large sur le monde et les Hommes à la dispute conjugale.

Aydin, comédien à la retraite, devenu hôtelier, est un homme riche et puissant, qui écrase de part son orgueil et son arrogance, les propos des personnes qui lui font face. Au début du métrage, le véhicule dont il est le passager, est la cible d’une pierre jetée contre lui. C’est là l’acte désespéré d’un enfant qui ne supporte plus l’humiliation quotidienne dont son père est la victime d’Aydin.

Le scénario met en parallèle deux récits. Celui de ce fait divers et ses conséquences sur la psychologie des personnages trouve un écho cohérent dans les longues scènes de discussion qui composent les 3/4 du film. Des impressionnantes tirades d’Aydin émergent un discours politique, social, moral et philosophique qui coïncident avec ce qui se joue autour de lui et de sa jeune épouse. Cette dernière, Nihal, travail à des oeuvres humanitaires. Il y a quelque chose perçu d’abord comme naïf dans son action. Elle parait subir l’influence et la domination de son époux, mais elle sera en fait la seule à lui apporter la contradiction. C’est là que l’on voit l’importance de la durée des échanges et du film lui même. Nuri Bilge Ceylan épuise tout le discours de ces personnages, et c’est ce qui permet d’en faire apparaitre toutes les nuances et tous les paradoxes. Ceylan filme finalement les paysages mentaux de ces personnages de la même manière que les décors sublimes de l’Anatolie. La contemplation laisse éclore toutes les variations, qu’elles soient climatiques ou intellectuelles.

Proche d’Ingmar Bergman dans son ambition philosophique et morale, Ceylan poursuit une oeuvre toujours plus intransigeante, maitrisée, et stimulante. Il est un un grand peintre de l’âme humaine et Sommeil d’hiver son film peut etre, aujourd’hui en tout cas, le plus important.

Lire aussi :

  1. Nuages de mai (Mayis sikintisi) de Nuri Bilge Ceylan (2001)
  2. Timbuktu d’Abderrahmane Sissako (2014)
  3. Captives d’Atom Egoyan (2014)
  4. Grace de Monaco d’Olivier Dahan (2014)
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