Looper de Rian Johnson (2012)

Rian Johnson a une carrière un peu à part dans le paysage hollywoodien. Il reste d’une notoriété finalement très confidentielle alors qu’il fait partie de cette nouvelle génération de cinéastes américains plein d’idées et d’envies diverses tels que Richard Kelly ou Darren Aronofsky. Il faut dire que ses deux premiers films ont eu un succès commercial mitigé. Brick son premier film (déjà avec Joseph Gordon-Levitt) s’était fait remarqué des critiques et cinéphiles, mais guère au-delà de ces cercles. Son second, The Brothers Bloom,  malgré son casting quatre étoiles (Adrian Brody, Mark Ruffalo et Rachel Weisz) n’a pas plus trouvé son public (40 000 entrées en France).

 Looper devrait changer un peu la donne. Fort d’un budget confortable (30M$) mais pas excessif non plus, il réalise un film d’action et d’anticipation qui n’a rien à envier aux grosses machines du genre, pas même leur casting (Joseph Gordon-Levitt donc, mais aussi Bruce Willis et Emily Blunt). L’action est bien au rendez-vous, mais les effets spéciaux plutôt limités sinon absent, ce qui permet à Johnson de se concentrer sur le plus important : son scénario. On sent en effet qu’il s’y est investi sans compter tant il est complexe, labyrinthique et foisonnant. En racontant l’histoire de ces Loopers, tueurs à gage dont le job consiste à éliminer des cibles envoyés du futur, Johnson offre une variation passionnante de la question du voyage dans le temps pourtant mainte fois rebattue au cinéma. C’est d’abord par son traitement singulier que le film se distingue. En effet tout au long de ses 110 min Looper propose beaucoup de choses différentes, d’idées originales et inattendues qui font que l’on ne sait jamais dans quelle direction le film  nous entraine. Or toutes ces idées, tant visuelles que narratives, ne sont là que pour servir le scénario. Citons par exemple cette longue digression, assez belle par ailleurs, en forme de flash forward, où les années passent pour le personnage principal.

Le résultat est très similaire aux deux précédentes réalisations de Johnson, tant dans ses qualités que dans ses défauts. On a la sensation d’un auteur derrière chaque ligne de dialogue, derrière chaque idée, et qui a une envie folle de raconter une histoire riche, complexe, avec le soucis qu’elle fonctionne bien et, paradoxalement, simplement. Surtout ce qui rend le film finalement si sympathique c’est que le fait que Rian Johnson cherche d’abord à nous émouvoir plutôt que de tout miser, comme d’autres ne seraient pas gêner pour le faire, sur une mise-en-scène trop voyante. Non, le film est émouvant, car ses personnages ont une âme, une conscience, une éthique même (c’est au cœur du film) et qu’ils doivent faire des choix pour eux et pour les autres. C’est vraiment en empruntant cette direction que le film trouve ses meilleures scènes et semble caresser sa véritable raison d’être.

Malheureusement, comme les précédentes réalisations de Johnson, il y a cette impression d’un catalogue des bonnes idées mais qui semblent avoir on un peu de mal à exister ensemble. Cela donne le sentiment d’un film très hétérogène qui manque quelque peu de fluidité. Il y a notamment une énorme cassure dans le rythme quand Looper bascule au point de donner l’impression de changer de genre, passant brutalement de l’actioner SF plaisant au huis-clos fantastique rural (qui fait énormément penser à Shyamalan). Le pari est audacieux mais n’est que partiellement réussi. Si individuellement les parties fonctionnent complètement, dans l’entièreté du film il y a comme une latence, l’inscription d’un faux rythme pas forcément agréable pour le spectateur.

Chacun appréciera à sa manière les différentes surprises que nous ménage Rian Johnson. On ne peut en tout cas qu’être surpris par cette œuvre atypique, qui ne ressemble finalement qu’à elle-même, et surtout qui affirme le talent fou de ce réalisateur discret jusqu’alors mais qui s’améliore de film en film.

Grégory Audermatte

Looper ****

Sortie dans les salles françaises le 31 octobre 2012

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