Detention de Joseph Kahn (2011)

Joseph Kahn est avant tout un réalisateur de clips. Il a commencé dans les  années 90 avec notamment des vidéos pour les  Backstreet Boys et Destiny’s Child. Plus récemment il a travaillé avec Eminem, U2 ou Muse. Comme tout clippeur suffisamment reconnu, il a voulu tenter l’aventure du cinéma en 2004 avec Torque. Vaguant sur le succès récent du premier Fast & Furious, Torque proposait un quasi remake, les motos remplaçant les voitures, pur un résultat très mauvais (mal écrit, mal joué, très idiot). Torque avait malgré tout une qualité, son inventivité lors des scènes d’action. Kahn se fichait visiblement de raconter une histoire préférant alors s’amuser avec ses motos pour des scènes délirantes et plutôt amusantes (par exemple, une moto qui saute sur le toit d’un train en marche, même si l’on concède que les effets numériques ont déjà beaucoup vieillis). Il n’en reste pas moins que refroidi par cette expérience plutôt stérile du cinéma, Kahn a attendu près de 10 ans pour (pouvoir) y revenir. Kahn s’est attelé à un projet qui le tenait à cœur, quelque chose de très personnel qu’il a d’ailleurs  co-écrit. C’est donc un tout petit film avec un budget dérisoire, sans stars (bien qu’avec Josh Hutcherson, qui n’avait pas encore tourné dans Hunger Games) qu’est Detention.

Bien lui en a pris parce que le résultat est absolument jubilatoire et surtout totalement singulier. Partant d’un pitch plutôt simple (un serial killer rôde dans le lycée) le film ne va cesser de surprendre en prenant des chemins de traverse de plus en plus inattendus. Ce qui frappe de prime abord c’est le rythme. On est clairement dans du cinéma 2.0, où Kahn a parfaitement compris la culture actuelle du zapping multisupport, où l’on est en même temps sur Facebook, devant la télé, sur Twitter, au téléphone etc… Le film est exactement ça, plonge ses personnages adolescents dans une frénésie qu’ils semblent eux-mêmes générer par leurs habitudes technologiques. C’est un peu comme s’ils étaient la turbine qui donne au film toute sa vigueur. Cette idée de métafilm est celle qui va le soutendre du début jusqu’à la fin. Kahn n’a de cesse de déréaliser son film en lui ajoutant des couches de réalité ou bien  en créant des mises en abime (dont une scène absolument géniale). Le cinéaste déconstruit en permanence ce qu’il construit pour mieux nous l’exposer. Il mélange toutes les époques pour mieux nous parler de la nôtre. Le film semble se faire de l’intérieur, se créer sa propre matière. Mais tout cela est un peu trop théorique alors que le film est surtout et avant tout une vraie comédie délirante.

D’autant plus que Detention est visuellement très inventif, très frais et ultra rythmé. Ca fuse dans tous les sens au niveau du montage et le film ne nous laisse pas le temps de respirer. Aussi, le film est ultra-référence et Kahn s’en amuse énormément, que ce soit au niveau du Name-Dropping permanent (dont un dialogue ironique sur  Torque) ou bien  des clins d’œil en tout genre à la musique, au cinéma et à la culture populaire (dont les tenues vestimentaires des années 90 et 80 à travers une séquence assez géniale). Le film a d’ailleurs ce paradoxe d’être également un hommage à la culture des années 80/90 mais tout en gardant son identité farouchement ancrée en 2012.

Bref, Detention est un film qui ne ressemble à aucun autre, qui évoque de loin le Nowhere de Gregg Araki en version 2.0 et sans l’aspect suicidaire. Son échec cuisant aux Etats-Unis (compréhensible) le prive malheureusement d’une sortie chez nous alors que c’est vraiment en salle que le film peut exister. Il ne ressemble en tout cas absolument en rien aux direct to video que l’on a l’habitude de voir. Non, on est en présence d’un vrai grand film de cinéma, un potentiel film culte, assez exigeant, qui procure surtout un immense plaisir de spectateur. On espère sincèrement que le film finira par avoir l’aura qu’il mérite.

 Grégory Audermatte

Detention ****1/2

Lire aussi :

  1. Une vie meilleure de Cédric Kahn (2011)
  2. Footnote (Hearat Shulayim) de Joseph Cedar (2011)
  3. Les Regrets de Cédric Kahn (2009)
  4. L’Avion de Cédric Kahn (2005)
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Un commentaire sur “Detention de Joseph Kahn (2011)”

  1. selenie dit :

    Alors là par contre sans moi ! J’ai trouvé ce film ennuyeux au possible. Ca ne fait ni rire ni peur, tout passe à côté. Une sorte de sous-« Scream » avec une génération de retard… 0/4

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