Blank City de Céline Danhier (2010)

Emos Poe, Charlie Ahearn, James Nares, Manuel de Landa, Michael Oblowitz, Nikki Zedd, Beth B… Ces noms ne vous diront probablement rien mais pourtant tous ont fait partie d’un même mouvement cinématographique né à la fin des années 70 dans le Lower East Side New-Yorkais. Tous ont été réalisateur de films fauchés, réalisés entre amis en super 8 ou super 16. Avec Blank City, Céline Danhier se penche sur ce mouvement qui a marqué la scène new-yorkaise de l’époque. A ces premiers noms cités plus haut peuvent s’ajouter d’autres, notoirement plus connus comme John Waters, John Lurie, Richard Stern, Jean-Michel Basquiat, Steve Buscemi, Vincent Gallo ou encore, le seul de ces cinéastes encore véritablement en activité aujourd’hui, Jim Jarmusch.

Appelé No Wave ou Cinema of Transgression, ce corpus de films conséquent est aujourd’hui totalement méconnu et définit ainsi par Lydia Lunch, l’une des actrice/réalisatrice de ce mouvement : « It’s defined by what it isn’t. What is it? I don’t fuckin’ know. » (Il se définit par ce qu’il n’est pas. Qu’est-ce qu’il est ? Je n’en sais foutre rien). C’est un peu aussi le sentiment qui prédomine à l’issue de la projection. On a du mal à donner une couleur à l’ensemble de ces œuvres si ce n’est un désir de choquer, d’être anti-conformiste et de ne travailler avec rien, sans argent, juste en s’entraidant et en continuant coûte que coûte. Et si l’évocation par ces différents acteurs de ces vies d’artiste dissolues mais heureuses donne envie sur le mode vie de bohème, on ne peut pas en dire autant en ce qui concerne les morceaux de film que nous donne à découvrir Céline Danhier qui semblent pour la plupart de petits films étudiants fauchés et traitant de sujets vaguement polémiques (homosexualité etc…). Il n’est d’ailleurs pas très étonnant que parmi tous ces extraits se détachent ceux qui auront lancés son réalisateur sur orbite. Quand Permanent Vacation de Jarmusch s’intercale au milieu d’extraits grossiers en Noir et Blanc granuleux, on sent tout de suite quelque chose, une inspiration, un regard peut-être mais en tout cas, le talent est indéniablement là et il n’est pas étonnant que Jarmusch ait réussi à convertir ces premiers essais hésitants en une véritable profession et vocation là où la majorité (la totalité en réalité à part Jarmusch) des intervenants semblent n’être jamais parvenu à sortir leur cinéma du carcan punk et provoc du Lower East Side de l’époque. En allant flâner sur IMDB et se renseigner un peu on peut découvrir avec horreur que Michael Oblowitz par exemple, réalise aujourd’hui des direct to video avec Steven Seagal et que la plupart d’entre eux n’ont carrément plus d’activités après 1985.

Le film est du coup involontairement assez ingrat envers ses intervenants qui tentent de nous convaincre de l’importance de leur mouvement et de l’importance des choses qu’ils ont fait à l’époque et qui restent aujourd’hui. Le public, même un peu connaisseur, n’y verra qu’autocongratulation pour un groupe d’artistes qui n’a pas totalement réussi à faire sortir ses œuvres de son quartier. C’est un peu le sentiment qui reste à la fin de la projection. On a l’impression que ce film est peut-être presque plus pour eux, comme un hommage mutuel qu’ils se rendent les uns les autres et à une certaine période de leur vie, mais moins pour les spectateurs qui voient défiler des inconnus nous parler de films sois disant importants dont on n’a jamais entendu parler et qui de toutes façons sont introuvables. Le témoignage sociologique est intéressant lui, reflétant une période très rock n’roll et assez folle dans le New-York en ruine du Lower East Side où l’on évoque la pauvreté, la drogue, le sida. Mais le discours critique sur ce prétendu mouvement paraît surfait et complaisant d’autosatisfaction. Il est dommage également que la forme du documentaire soit si scolaire, si mécanique, alternant d’une manière très monotone interviews et extraits des films concernés. Entendre ces différents personnages se gargariser de leur propre importance durant 1h30 est décidemment beaucoup trop long. Le documentaire ne s’adresse finalement qu’à certains cinéphiles pointus en quête de découverte mais risque bien de laisser les autres spectateurs complètement égarés sur le bas-côté.

Grégory Audermatte

Blank city ***

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