Les Bêtes du sud sauvage (Beasts of the southern wild) de Benh Zeitlin (2012)

Benh Zeitlin est un nom qui n’évoque pour le moment pas grand chose. Quand le cinéaste a débarqué à Cannes pour présenter son premier long-métrage dans la section Un Certain regard, il était pourtant déjà escorté par la plus flatteuse des rumeurs. En janvier, Les Bêtes du sud sauvage à remporté le Grand Prix du festival de Sundance mais, davantage que tous les lauréats de ce même festival jusqu’alors (et il y en a des fameux), le film a soulevé un enthousiasme inédit. Moins de six mois plus tard, le métrage était attendu au tournant sur la Croisette. Sa réputation n’a pas été démentie. Les Bêtes du sud sauvage a été le grand choc de Cannes 2012, un film foisonnant et d’une puissance d’évocation hors norme qui aura impressionné plus d’un festivalier.

Le film ouvre de manière presque paradoxale par une grande fête carnavalesque, un déluge d’images et de sons, un bouillonnement qui déjà nous emporte et par là, surtout, une forme d’apothéose en même temps qu’un feu d’artifice éclate. Cette ouverture flamboyante, c’est une promesse.

Benh Zeitlin nous convoque au carrefour des éléments. Le feu, la glace, le vent, la terre se déchaînent contre une Louisiane dévastée. Cet espace dans lequel tout se percute forme un monde entier où tout est nécessairement fragile. Dans le bayou, la petite Hushpuppy, 6 ans, vit avec son père alcoolique. La nature instable, le décor ravagé ravive les images du passage de l’Ouragan Katrina dans cette région en 2005. Les gens vivent là comme ils vivraient sur un volcan, à la fois conscients du danger, et en même temps immunisés contre toute peur. Hushpuppy est une enfant presque livrée à elle même. Elle s’accroche au souvenir de sa mère qui n’est plus là et grandit auprès d’un père défaillant, qui boit trop et qui ne tient presque plus debout. Hushpuppy, elle, elle se tient droite, fière, déterminée, courageuse, consciente de la place minuscule qu’elle occupe au milieu de l’univers, mais qui ne se résigne pas face à lui.

Le film est vu a travers les yeux de cette formidable héroïne, élevée comme un petit homme, à la dure, par son père. Hushpuppy est hantée par le souvenir de sa mère, par les histoires qu’elle lui racontait. L’enfant s’est construit son propre monde. La réalité la plus crasse, la plus misérable dans laquelle elle vit se confond avec la mythologie. Hushpuppy est persuadée que les inondations qui sont en train d’engloutir l’endroit où est installée toute sa communauté est la conséquence de la fonte des glaces qui va en même temps libérer des monstres préhistoriques prisonniers depuis des millénaires.

Fable féérique et initiatique, récit d’aventure, conte fantastique Les bêtes du sud sauvage est au confluent de plusieurs genres qui, comme les éléments à l’intérieur du film, se heurtent dans un même souffle. Quand Hushpuppy gonfle les bras, on se rend compte qu’elle est le point d’équilibre qui fait que tout ce qu’il y a autour d’elle tient encore. C’est elle qui a le pouvoir, qui détient le feu ou qui pourra faire baisser le niveau de l’eau. C’est elle qui soutient son père, davantage que le contraire. C’est qui elle qui s’élève face aux aurochs, qui porte la responsabilité d’un monde fragile qu’il faut protéger et sauver.

Hushpuppy puise dans son imaginaire débordant pour se construire une armure de chevalier qui la préservera de sa propre fragilité. Dans le bayou, elle est tel un Roi. Elle ressemble ainsi énormément au petit Max dans Where the wild things are de Spike Jonze. Les deux souffrent d’une absence, d’une solitude qui les accable. Ils se réfugient dans un monde effrayant et qu’ils affrontent. Ils affirment un courage qui fait barrage à toutes leurs peurs. Celle qui est la plus dure à affronter pour Hushpuppy, c’est celle de l’avenir. Le bayou est en train de disparaitre, sa mère n’est plus là, son père ne peux plus rien pour elle.

Le film est traversé par tous les courants : violent, tendre, chaotique, apaisé, tourmenté, délicat etc. Toutes les forces s’opposent dans un impressionnant maelstrom. Les Bêtes du sud sauvage est un film dur et en même temps magnifique, dont on ressort chahuté, bouleversé. L’émotion est là, omniprésente, pure, belle, sans chichi. Le visage de Hushpuppy (incroyable Quvenzhané Wallis) est inoubliable. Sa détermination, on la veut nôtre et on se rend à ce moment là compte qu’on est vraiment tout petit face à elle. Le génie de Benh Zeitlin s’est d’être à ce point parvenu à faire cohabiter dans un ensemble invraisemblablement harmonieux toutes les impressions possibles. Le film est parcouru par un souffle, une énergie, qui est celle d’Hushpuppy autant que celle de sa mise en scène, elle même construite selon un délicat équilibre entre cadres posés quasi iconiques, et une caméra portée qui accompagne et nourrit le tumulte. Tout est là, qui converge vers un moment simple d’abandon, un instant déterminant à partir duquel tout est possible, les miracles tout autant que l’avenir pour une enfant qui a encore tout à construire. Les bêtes du sud sauvage atteint quelque chose de l’ordre de la pureté originelle. Et c’est aussi à partir de cela que Benh Zeitlin va maintenant se construire son propre futur. On a en tous les cas le sentiment d’assister là à la naissance d’un virtuose.

Benoît Thevenin

Les Bêtes du sud sauvage ****1/2

Sortie française le 2 janvier 2013

Lire aussi :

  1. Into the wild de Sean Penn (2007)
  2. Max et les maximonstres (Where the wild things are) de Spike Jonze (2009)
  3. Like someone in love de Abbas Kiarostami (2012)
  4. The Perfect family d’Anne Renton (2012)
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