Laurence Anyways de Xavier Dolan (2012)

Après J’ai tué ma mère, premier film prometteur, auto produit et encore simple dans la forme, Xavier Dolan a commencé par immédiatement passer un cap, affirmer un style, avec son second long-métrage Les Amours imaginaires. Inutile de revenir sur la précocité d’un cinéaste déjà partout célébré et qui réalise avec Laurence Anyways une oeuvre d’une ampleur rare alors qu’il n’a toujours pas égalé l’âge d’Orson Welles quand il se révélait à 26 ans avec Citizen Kane. Sans y revenir donc, quand même la précocité de Dolan épate.

Film fleuve de 2h40, Laurence Anyways raconte 20 ans d’une passion extraordinaire entre Laurence (Melvil Poupaud) et Fred (Suzanne Clement), à partir du moment où Laurence, le jour de ses 30 ans, révèle à Fred son désir, ou plutôt son besoin, de changer de sexe.

La décision de Laurence est radicale, spectaculaire et irréversible, mais constitue seulement le contexte d’une histoire d’amour extraordinaire, chaotique, exceptionnelle. Xavier Dolan s’intéresse donc assez peu aux conséquences sociales de la décision de Laurence. Le récit débute dans les années 90, une époque ou les moeurs étaient encore moins épanouies qu’aujourd’hui, et pourtant malgré quelques tensions, le récit laisse entendre que tout se passe de manière plutôt apaisée. Lorsque Laurence, qui est prof dans un lycée, se présente la première fois devant ses élèves habillée en femme, un silence lourd et pesant s’installe, qui dure mais est interrompu par une question très terre-à-terre d’une élève. Le cours peut reprendre, il n’y a pas de problème. Dans la rue, les regards des inconnus trahissent un étonnement, mais c’est tout. Et quand Laurence avoue sa décision à sa maman (Nathalie Baye) celle-ci se montre certes un peu bouleversée, mais compréhensive.

La réaction la plus dure, la plus cruelle, ce sera celle de Fred, qui ressent une trahison et rejette d’abord celui qu’elle aime pourtant du plus profond d’elle même. Si le choc le plus violent est circonscris à l’intimité du couple, c’est parce que le sujet unique de Dolan est justement ce couple. Laurence Anyways est d’abord une histoire d’amour impossible, irrationnelle. Les personnages vont lutter sans cesse contre des vents contraires, mais ils s’accrocheront toujours car la passion est plus forte que tous les préjugés et toutes les tensions. Ils s’aimeront, se sépareront, souffriront… mais surtout, toujours ils s’aimeront.

Le film est finalement la succession de fragments de vie, de moments intenses dans l’existence de ce couple. Laurence et Fred sont embarqués dans un tourbillon dans lequel toutes les émotions se percutent. Dès lors, la mise en scène de Dolan ne peut se contenter d’être simple et anodine. Justement elle ne le sera jamais. Dolan est excessif dans la composition de tous ses plans. Chaque séquence est tel un clip vidéo, une image ultra-stylisée accompagnée par une musique qui transcende la puissance dramatique de l’ensemble. Les mauvaises langues diront que Dolan est poseur, démonstratif, que son film n’est qu’esbrouffe, mais la vérité est que la prétention mégalomaniaque qu’il affirme dans chacune de ses séquences est absolument nécessaire.

La B.O de Laurence Anyways est fabuleuse du Romeo et Juliette de Prokofiev à The Cure en passant par Visage ou Kim Carnes entre autres. Ces morceaux sont à la fois des marqueurs dans le temps et des vecteurs de toutes les émotions. La B.O transcende chaque image, intensifie le romanesque, quitte à nous épuiser à mesure que le film avance… mais seulement parce que les personnages eux-même sont lessivés en fin de parcours. Le voyage qu’entreprennent Laurence et Fred, il est effectué avec le spectateur. On est happé avec eux, on subit tout ce qu’ils subissent, et c’est ce qui fait que Laurence Anyways est le genre de film qui marque durablement. On a l’impression d’une implication totale de la part des comédiens – extraordinaires, que ce soit Melvil Poupaud ou bien Suzanne Clément – et le sentiment que Xavier Dolan a mis tout ce qu’il avait en lui dans ce film. Laurence Anyways est un film-somme, un film hors norme, une oeuvre vertigineuse et puissante qui ravage tout sur son passage.

Jusqu’où ira Xavier Dolan ? A quoi pourra bien ressembler son prochain film ? Comment enchaîner après un tel tour-de-force ?

Benoît Thevenin

Laurence Anyways ****1/2

Sortie française le 18 juillet 2012

Lire aussi :

  1. J’ai tué ma mère de Xavier Dolan (2009)
  2. Juste la fin du monde de Xavier Dolan (2016)
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  4. The Eye de Xavier Palud et David Moreau (2008)
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