Cosmopolis de David Cronenberg (2012)

« Un rat devint l’unité d’échange »


Avec Cosmopolis, Cronenberg adapte un roman de Don DeLillo, publié chez Acte Sud en 2003, et aux accents prophétiques. Le romancier décrivait le déclin du capitalisme dans le contexte pré 11 septembre 2001 de la crise financière asiatique survenue à partir de 1997 avec la chute du bath thaïlandais. Quelques années après sa publication, le roman trouve un écho effrayant dans la crise qui frappe l’économie mondiale depuis 2008.

Cosmopolis raconte la même histoire que Margin Call, sorti quelques semaines auparavant. Le film de Cronenberg, mise en images élégante et quasi littérale du roman de DeLillo, est une oeuvre cérébrale et métaphorique qui évoque la chute vertigineuse, en une nuit seulement, d’un véritable empire financier, sinon d’un système entier. Margin Call nous plongeait directement dans les coulisses de la faillite d’une puissante banque mondiale. Les conclusions des deux films se rejoignent : tout aura été perdu en quelques heures.

Lorsqu’il embarque dans sa limousine, Eric Packer (Robert Pattinson) indique vouloir se rendre chez son coiffeur. Celui en charge de sa sécurité l’averti que la circulation dans la ville est perturbée par l’arrivée du Président des USA. Il lui apprend aussi l’existence d’une menace. Packer demandera qui est menacé. « Ce n’est pas vous la cible, mais lui, le président ». Dans l’esprit d’Eric Packer, il y a le sentiment d’une toute puissance. Il est au moins l’égal du Président. Eric Packer domine le monde. A sa petite-amie (Sarah Gadon) il dit « les gens mangent et dorment à l’ombre de ce que nous faisons ». A une marchande d’art (Juliette Binoche), il estime que La Chapelle de Rothko appartient au monde mais que s’il l’achète, elle est à lui.

A l’arrière de sa limousine « proustée », c’est à dire allongée pour être toujours plus longue (la quête du toujours plus), Eric Packer est assis dans un véritable trône. Ceux qui viennent le visiter sont comme les courtisants d’un grand Roi : ils l’informent des nouvelles du monde (discussion entre analystes sur le cour du Yuan, annonce de la mort d’une star du rap), le divertissent (en lui faisant l’amour) et un médecin vient l’examiner. Eric Packer a pourtant assimilé le fait qu’il a tout perdu en misant mal sur le Yuan. Il est bientôt en faillite mais reste imperturbable, comme lorsque la limousine est chahutée alors qu’elle traverse l’épicentre d’une émeute. Le véhicule est tagué dans une ambiance de chaos à l’extérieur, tandis que l’intérieur de la limousine reste immaculé et sanctuarisé.

L’apocalypse semble proche mais Eric est serein. Il sait qu’il a tout perdu et sait qu’il avance vers la mort. Il se sent libre et n’a pas peur. il défie une maitresse qui pointe un taser sur son torse d’appuyer sur la détente et ainsi lui envoyer une décharge de 100 000 volts qui serait sans doute mortelle. Eric se sent-il immortel ? Il est plutôt conscient de sa perte.

La limousine est un symbole puissant de l’époque, à la fois luxueuse et toc, triste et désincarnée. Eric Packer l’a faite modifiée. Sa limousine est blindée et isolée de l’environnement sonore extérieur par du liège. Eric raconte pourtant à sa petite amie que « le bruit le stimule ». S’il s’en est protégé, c’est qu’il a renoncé à être dans le tempo, provoquant sa chute. « L’argent a perdu son caractère narratif. L’argent fait le temps, avant c’était l’inverse ». Tout va désormais trop vite et Eric Packer devient la victime d’un engrenage qu’il a lui-même alimenté. Il s’est mis hors jeu tout seul, se retrouve en décalage par rapport à l’équilibre des modèles financiers et de là, à perdu tout contrôle. L’ambiance de fin du monde qui règne dehors, c’est lui qui l’a nourri. « Toute l’économie vacille parce qu’un homme a respiré ».

La mise en scène raffinée et clinique de Cronenberg colle au caractère froid et imperturbable de Eric Packer. Le film déroule un rythme lent fondé sur les dialogues qui constituent tout le métrage. Cosmopolis est très bavard, mais aucun mot n’est de trop. Les échanges sont toujours posés, prononcés de manière quasi mécanique. Les personnages ne manifestent que très rarement des émotions. L’amour est absent mais le sexe ponctue le parcours d’Eric. Pour lui, le sexe n’est pas la source d’un plaisir, mais le moyen d’une purification. A défaut d’émotion, sa seule réaction sera finalement ce coup de pied envoyé dans les parties intimes de son entarteur (Mathieu Amalric). Il n’est sinon affecté par rien, comme quand il tue sans ciller celui chargé de le protéger, s’affranchissant délibérément de toute contrainte et faisant tomber l’armure pour mieux marcher vers la mort.

Le seul personnage a exprimer ses émotions est finalement le dernier. Richard Sheets (Paul Giammati) est en colère et décidé à venger son propre déclin. Il fait à l’origine partie du même monde que Eric Packer, mais lui non plus n’a pas su suivre le rythme et s’est retrouvé hors jeu, hors système. Réduit à l’état d’esclave du monstre financier, il vit dans un taudis et nourrit des sentiments confus, où la haine prend une large place.

Cronenberg décrit ainsi, sans emphase et de façon douce, le pourrissement et la mort lente du capitalisme. Le film est naturellement en phase avec l’actualité. Les sociétés grondent, descendent dans la rue, s’attaquent aux symboles tandis que les puissants restent pour la plupart perchés en haut de leur tour d’ivoire, où dans le trône installé dans leur limousine, à attendre le moment où eux aussi tomberont, chacun leur tour. Eric Packer d’abord, qui laissera sa place, à Vija Kinsky (Samanta Morton) par exemple, l’économiste qui philosophe avec lui sur l’avenir du monde alors qu’Eric sait qu’il ne sera bientôt plus de la partie. Quand Vija s’installe un temps à la place d’Eric, elle annonce symboliquement que le système perdura quand même et jusqu’à son épuisement ultime.

Cosmopolis est une oeuvre fascinante et vertigineuse, un film étrange, où les rencontrent se succèdent le temps d’un parcours tortueux et sans fin. Cronenberg, après A Dangerous Method, semble emprunter un nouveau virage, propose un cinéma toujours plus verbal, qui s’intéresse maintenant davantage aux mutations intellectuelles et philosophiques qu’à celles physiques et biologiques. On verra avec son prochain film s’il poursuit dans cette voie. En tous les cas, avec Cosmopolis, Cronenberg offre à Robert Pattinson une fabuleuse opportunité pour révéler l’épaisseur de son jeu d’acteur. Eric Packer est sans doute le rôle idéal pour lui, pour s’émanciper enfin de son statut très lisse de star adolescente et s’offrir la possibilité de se construire une belle carrière.

Benoît Thevenin

Cosmopolis ****

Sortie française le 25 mai 2012

Lire aussi :

  1. A History of violence de David Cronenberg (2005)
  2. Videodrome de David Cronenberg (1983)
  3. Crash de David Cronenberg (1996)
  4. Les Promesses de l’ombre (Eastern promises) de David Cronenberg (2007)
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Un commentaire sur “Cosmopolis de David Cronenberg (2012)”

  1. selenie dit :

    Quelle déception ! la plus grosse de 2012 pour un des films le splus médiocres de Cronenberg !… Trop bavard (du néant en plus !), Pattinson sans consistance, succession de scènes trop découpées, heureusement reste le forme et une mise en scène qui nous scotche… 1/4

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