Margin Call de J. C. Chandor (2011)

Pour son premier long-métrage de cinéma, le documentariste musical J.C. Chandor frappe très fort. Le sujet même du film est déjà assez audacieux. Le cinéaste nous fait rentrer dans les arcanes de la salle des marchés d’une puissante banque américaine, ce qui n’est pas a priori le terrain le plus favorable à une intrigue qui puisse intéresser tout le monde. Nous rentrons dans l’histoire en même temps qu’une équipe de « nettoyeurs » débarque dans la salle des marchés pour faire le ménage parmi les employés et leurs superviseurs. La banque se réorganise et laisse du monde sur le carreau, de manière impitoyable, dont  Eric Dale (Stanley Tucci). Celui-ci dirige une équipe de traders et est sur le point de déceler quelque chose d’important lorsqu’on le chasse sans ménagement de l’entreprise. Il a le temps quand même de glisser une clé USB dans laquelle figure son travail d’analyse à un jeune trader en qui il a confiance. Quand celui-ci va jeter un oeil au dossier, il se rend compte que la banque se trouve dans une situation inextricable…

Le film que J.C. Chandor nous donne à voir s’inspire à l’évidence de la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008, épicentre d’une crise financière mondiale avec ses répercutions économiques, politiques et sociales. Margin Call est forcément né de l’observation de cette crise, de comment elle est née, via le système des subprimes.

J.C Chandor construit son film sur le modèle d’un film policier et entretien d’abord un véritable suspens à propos de la nature véritable du problème découvert. Le premier pari du cinéaste est amplement gagné. Malgré un jargon un peu technique et des données financières que le quidam trouvera complexes, il construit un récit intelligible et cohérent de telle manière que le spectateur n’est jamais perdu. Peut-être cela parce que les dirigeants de la banques eux même ne comprennent pas grand choses aux chiffres qu’on leur présente. Il y a tout un travail de pédagogie à leur adresse qui est effectué et qui va droit aux spectateurs.

Le film met en exergue, sans surprise, le cynisme incroyable d’une caste déconnectée de toutes les réalités. L’argent est le seul moteur et, même si les jeunes traders à l’origine de la découverte de la faille ont encore un peu de conscience pour eux, c’est simplement parce qu’ils ont conservé encore un petit peu de leur naïveté. Ils ne sont que les derniers maillons d’une chaîne, où plutôt la base d’une structure pyramidale dont on n’arrive pas à distinguer le sommet. La banque est organisée de telle manière que au-dessus de chaque directeur, il y a un autre directeur avec des prérogatives plus larges. Plus les personnes sont haut dans l’organigramme et plus leurs salaires et bonus sont élevés, mais en même temps, moins ils comprennent les bases du trading. Ainsi, la banque finit par sombrer subitement car les responsabilités se sont tant dilués qu’elles ont été reportés au final sur des bouc-émissaires impuissant. Lorsque le danger est découvert, il est déjà trop tard. La banque se retrouve dans une situation impossible. C’est là que se révèle toute la monstruosité de l’institution. Elle a constitué des montagnes de profits en fabriquant des produits financiers complexes et toxiques. La banque est finie, le diagnostique de sa chute irrémédiable est établit. La seule décision prise dans cette nuit interminable où tous les puissants finissent réunit face à leur impuissance, est celle de se débarrasser des avoirs les plus toxiques. La décision est contestée mais appliquée. On ordonne les petits soldats, les traders, à brader leurs produits toxiques aux clients les plus crédules, histoire de contenir les pertes. A terme, c’est un cataclysme financier mondial qui menace, mais à court terme, il s’agit de garantir les revenus des puissants dirigeants.

Margin Call, c’est l’expression du capitalisme financier dans sa forme la plus monstrueuse. Le film est cinglant, glaçant même, et a le mérite de révéler par les moyens de la fiction les causes d’une crise exceptionnelle. Le film est important pour cela mais il est aussi impressionnant de maîtrise. Porté en plus par un casting exceptionnel, Margin Call est un film majeur des temps actuels.

Benoît Thevenin

Margin Call ****1/2

Sortie dans les salles françaises le 2 mai 2012

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