Au-delà (Hereafter) de Clint Eastwood (2010)

Au-delà a suscité une volée de bois verts à sa sortie, mais surtout un lot impressionnant de critiques injustes. Autant Eastwood suscite trop facilement l’unanimité à chacune de ses livraisons, autant la violence de certaines prises de positions sur Au-delà ne parait pas non plus appropriée. Où le cinéaste a t’il fauté pour renverser tout à coup l’opinion ?

Il est vrai que le film est fragile, bancal même, peut-être parce que le sujet de la vie après la mort est autant ambitieux que casse-gueule, et parce qu’Eastwood ne le traite pas non plus avec beaucoup de profondeur.

Le film est ambitieux au moins par sa construction chorale, ces trois histoires dont on sait qu’elles finiront par trouver un point de convergence. Il l’est aussi parce que le cinéaste demeure un témoin attentif de son époque. Ces derniers films, même ceux dont l’action se déroule dans un passé plus ou moins lointain, racontent tous quelques chose de la société américaine, des ses peurs, de ses blessures, de ses failles etc. En balisant le récit de Au-Delà entre le tsunami de Sumatra du 26 decembre 2004 et les attentats de Londres du 7 juillet 2005, Eastwood ne circonscrit pas son introspection à la seule société américaine mais fait cette fois carrément le portrait d’une humanité traumatisée. Les traumatismes sont collectifs (les drames précités) ou bien intimes et liés à l’enfance des personnages (le viol sous-entendu de Mélanie (Bryce Dallas Howard), la mort du frère de Jason, la malédiction du don de George (Matt Damon)).

Le problème d’Au-delà réside sans doute dans le fait qu’Eastwood cherche a raconter trop de choses à la fois. La fonction de journaliste vedette de Marie (Cécile de France) ouvre une fenêtre sur le scandale des enfants du tiers-monde exploités par les multinationales, et finalement, on se demande ce que  ce sujet viens s’ajouter sur la table. Plus curieux encore, la place que François Mitterrand prend dans le récit, encore plus arbitraire. Marie, survivante du tsunami de 2004, se met en réserve de son métier à la télé et défend un projet de livre qui l’occupera quelques temps sur l’ancien président de la République française. On se doute que l’idée d’Eastwood est prosaïque , qu’il s’agit juste pour lui de contextualiser au mieux cette partie du récit en France. La séquence dans laquelle Marie se bat avec vigueur pour son idée de livre sur Mitterrand ne manque alors pas d’interpeller, et en particulier le spectateur français. Plus encore que la parenthèses des enfants exploités à l’autre bout du monde pour des salaires misérables, on ne comprend pas l’irruption soudaine de « Tonton » dans l’histoire. Du reste, et cela avalise le sentiment que Mitterrand n’est qu’un prétexte utilisé par le cinéaste pour ancrer son récit dans un contexte précis, Eastwood et son scénariste Peter Morgan n’ont pas écrit cette scène mais ont confié à Cécile de France – qui malgré son nom est belge, ce qui a du échapper au cinéaste – le soin d’improviser son discours. Cette légèreté commise par Eastwood, mésestimée car lui n’a du n’y voir qu’un clin d’oeil à l’adresse du public qui apprécie le mieux ses films dans le monde, est forcément mal digérée par les spectateurs français et au mieux jugée maladroite…

Chaque personnage du film est affecté d’une manière ou d’une autre par la mort. Tous cherchent des réponses rassurantes à leurs questions et qui soulageraient leurs traumatisme. Eastwood n’est certes plus dans sa prime jeunesse, mais il est sans doute un peu facile de ne voir dans ce film que ses propres interrogations. Finalement, le film cherche moins à apporter des réponses sur un sujet qui n’en comporte de toute façon pas jusqu’à preuve du contraire, qu’a plutôt montrer l’opposition entre deux camps. Il y a ceux qui ont besoin d’êtres rassurés, et il y a les charlatans qui exploitent les failles d’autrui, à commencer par le frère de George sans cesse à le pousser à faire de son don un business.

Le film est inégal car les trois histoires ne se valent pas. On l’a dit, la partie concernant le personnage de Marie est difficile à apprécier. Mais il s’agit aussi de la partie du film la plus délicate. Autant les histoires de Jason, le jeune garçon, et de George sont installées dans le réel, autant le personnage de Marie est celui qui navigue dans les eaux les plus fumeuses, qui exploite les pistes ésotériques etc. Elle n’est en plus pas aidée par des dialogues parfois peu inspirés « et toi, t’y crois à l’au-delà ? ».

Eastwood distille pourtant quelques très belles scènes : les larmes de Mélanie dans l’escalier, la relation entre Jason et sa mère, la séquence ou George est en liaison avec la femme de Christos (Richard Kind), Jason face à l’imposture d’une femme médium, sans compter l’entame saisissante avec le tsunami. Malgré un sujet délicat, Eastwood parvient même à éviter le trop plein de sensiblerie qui envahit parfois ses films. Au contraire de Million Dollar Baby ou L’Echange, si l’histoire est chargée en émotion, Eastwood ne cède pas à la surenchère émotionnelle dont parfois il abuse. Le script entier vise, sans emphase, à la réconciliation des êtres, entre eux ou avec eux-même. C’est là le véritable crédo de Eastwood dans ses derniers films, toujours là à panser les blessures, à favoriser les pardons, à chercher des formes de réconciliations.

Alors certes Au-delà est un film un peu boiteux, à l’image de la conclusion où d’un côté on a une très belle scène dans laquelle Jason trouve la paix face à George, et d’un autre côté la rencontre amoureuse dont on pourrait très bien se passer. Au-delà est comme ça, qui marche presque sur une jambe, mais il demeure un très beau film, et il n’est certainement pas une tâche, encore moins une absurdité, dans la filmographie du cinéaste.

Benoît Thevenin

Au-delà ***1/2

Sortie française le 19 janvier 2011

Lire aussi :

  1. J. Edgar de Clint Eastwood (2011)
  2. Million Dollar Baby de Clint Eastwood (2005)
  3. Impitoyable (Unforgiven) de Clint Eastwood (1992)
  4. Un Monde parfait (A perfect world) de Clint Eastwood (1993)
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