L’Outsider (Szabadgyalog) de Béla Tarr (1981)

Dans Le Nid familial, Béla Tarr centrait son attention sur le personnage d’Irèn, une jeune mère de famille victime de la goujaterie des hommes et d’un système social qui l’exclue. On assistait alors à la destruction du couple qu’Irèn forme dans ce film avec Laci.

Trois ans plus tard environ, Béla Tarr suit la trajectoire d’András, un jeune homme dont le titre du film nous renseigne sans préambule qu’il est un marginal. András n’est pas tout à fait en dehors de la société, au contraire, il est en fait pleinement dedans : il travaille, il a une vie amoureuse et des amis avec qui il fait la fête. Le cadre n’est cependant pas du tout idyllique. András se cherche une place dans la société, enchaine les petits boulots, paie une pension à une femme qui lui a donné un enfant mais dont il est séparé, et met en péril sa nouvelle relation de part son égoïsme. Et s’il fait la fête, c’est parce que l’alcool représente le point de rencontre des désoeuvrés.

La séquence d’ouverture nous montre András, infirmier dans un hôpital psychiatrique en train de se faire virer de son travail. Le récit commence ainsi de la même manière que Le Nid Familial termine, ou comme son court-métrage Hotel Magnezit – lequel s’intercale entre ses deux premiers longs-métrages, avec un personnage qui est rejeté, placé en accusation et mis à la rue. Cette fois, l’exclusion ouvre le film, et Béla Tarr d’inventer un parcours pour son personnage.

András est jeune et semble avoir la vie devant lui. Violonniste, il nourrit son utopie de vivre de son art mais au final, il amuse plus la galerie qu’il n’obtient quelque chose. Le voilà donc à enchainer les petits boulots (infirmier, ouvrier, animateur en boîte de nuit etc.) sans réussir à s’attacher nulle part. Sa vie sentimentale aussi est un fiasco. Sa précédente relation est un échec puisqu’il ne vit pas avec son enfant et la mère de celui-ci. Sa nouvelle petite amie, qu’il épouse, commence elle à lui reprocher son style de vie, de privilégier les copains à son mariage, de trop boire etc.

Paradoxalement, et malgré une caméra légère qui accompagne les personnages, Béla Tarr enferme l’action quasi systématiquement dans des intérieurs. András change constamment d’endroits, que ce soit ses lieux où il travaille, dans l’intimité de son couple ou en salle des fêtes. Cette multiplication des lieux dans lesquels il se retrouve successivement ne finit que par induire une seule idée, celle qu’il ne trouve sa place nulle part. Cela est d’autant plus vrai que comme dans Le Nid Familial, Béla Tarr a tendance à filmer avec des cadrages très serrés qui isolent, voire même scindent, les personnages.

Le film est le premier que Béla Tarr tourne en couleurs, mais sans parti-pris esthétique. La couleur renforce juste le réalisme de l’action. L’Outsider décrit ainsi une réalité que Béla Tarr perçoit autour de lui. Il montre une jeunesse un peu paumée, qui cherche ses repères dans une Hongrie tiraillée au début des années 80. Cette jeunesse est en quête d’émancipation, chante et danse de la musique rock occidentale (cf. cette séquence avec House of the rising sun) en même temps qu’elle est prise en étau du fait d’un système communiste qui perdure et cherche à se développer. Ainsi, il en va de cette scène finale – en marge de la trajectoire d’András – d’un accord de coopération politique fêté à une table avec une délégation tchèque alors que l’orchestre se met à jouer la Rhapsodie hongroise de Litz. La génération plus ancienne se replie sur ses racines culturelles et un modèle déjà en place et qui se renforce, quand la génération plus jeune lorgne sur d’autres horizons… On a l’impression que trente ans plus tard, absolument rien a changé, ou pire, que tout s’est dégradé et que la situation décrite dans L’Outsider s’est propagée à nos sociétés occidentales actuelles.

Benoît Thevenin

L’Outsider ****

Lire aussi :

  1. Macbeth de Béla Tarr (1982)
  2. Hotel Magnezit de Béla Tarr (1978)
  3. Le Nid familial (Családi tűzfészek) de Béla Tarr (1977)
  4. L’Homme de Londres (A londoni férfi) de Béla Tarr (2007)
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