Sean Penn

En 1991, Sean Penn annonce sa retraite d’acteur. Il souhaite se concentrer sur le métier de réalisateur. Sean Penn n’est ni sage, ni conciliant. Il a le franc parler, l’intégrité qui font de lui cet énergumène incontrôlable qui irrite au plus haut point les pontes de Hollywood. Mais Sean Penn est un acteur estimé, respecté. Au début de sa carrière dans les années 80, chacun voyait en lui une sorte de nouveau Marlon Brando. Sa liaison tumultueuse avec Madonna alimentait les gazettes et Sean Penn accédait ainsi malgré lui au star-system. Ce système, Sean Penn ne s’en est jamais accommodé. Il est une forte tête dans le sens où il est l’exception, le seul quasiment à faire preuve de modestie et de sollicitude. Son attitude tranche, il agace mais il est aimé du public.

Hollywood ne s’est jamais embarrassé de ce genre de figures, à moins qu’elles ne soient « bankable ». Ainsi, quand en 1991 Sean Penn décide de stopper sa carrière d’acteur, on lui fait gentiment comprendre qu’il n’en a pas intérêt, qu’il ne trouvera jamais le moyen de financer ses projets en s’écartant comme cela du système.

A partir de là, Sean Penn se fera relativement discret et ne s’engagera que dans des projets qui, d’une certaine manière, « en valent la peine ». Il tournera alors dans des films aussi important que La dernière marche (plaidoyer contre la peine de mort pour lequel il s’est énormément engagé avec ses amis Susan Sarandon et Tim Robbins), She’s so lovely (qu’il a failli réaliser lui même avant de laisser le soin de cette réalisation au fils de John Cassavetes) ou encore La Ligne Rouge (le plus beau film de guerre de l’histoire du cinéma). Il prête aussi ses talents à des réalisateurs émérite tels Oliver Stone (U-Turn), Brian De Palma (qu’il retrouve dans L’Impasse après Outrages), David Fincher (The Game), Clint Eastwood (Mystic River) etc…

S’il s’est échoué dans un navet tel que « I am sam », ceci relève seulement de l’incident de parcours. Mais, de toute façon, ce qui marque le plus dans la carrière de Sean Penn, c’est ce talent incroyable à la réalisation. Parce que tant d’acteurs se sont révélés médiocres dans leurs passages derrière la caméra, il y a toujours un a priori négatif sur ceux qui font ce choix là. Concernant Sean Penn, c’est un non-sens. Il est tout simplement l’un des quelques cinéastes américains contemporains les plus brillants.

Indian Runner marque ainsi en 91 son premier essai en tant que cinéaste. Et c’est un authentique coup de maître. Si la mise en scène classique est toute à la fois inventive, on est frappé par l’humanité qui émane de ce film, comme des suivants.Indian Runner s’inspire d’une vielle légende indienne sur le passage à l’âge adulte. Le film raconte donc le conflit entre deux frères sur le chemin de l’émancipation. L’un est un fermier raté devenu policier, très attaché aux valeurs traditionnelles. L’autre est un soldat, il rentre du Vietnam et cherche un sens à sa vie. A partir de ce postulat de base, Penn film l’humain. Dans ces films, les personnages principaux sont des bêtes blessées, en proie aux doutes, et confrontés à leurs contradictions. Sean Penn se refuse au manichéisme, base de tant de schémas narratifs. Au contraire donc, il focalise sur la nuance, montre que rien n’est ni tout noir, ni tout blanc etc.

Sean Penn confirme brillamment Indian Runner avec le sublime Crossing Guard en 1995. Le style est le même et on commence à identifier Sean Penn à son regard. Sa mise en scène est quelque part entre Clint Eastwood et Michael Mann pour schématiser très grossièrement. Dans Crossing Guard, Jack Nicholson joue le rôle d’un père dont le destin à basculer le jour ou sa fille a été renversée et tuée par un chauffard ivre. Quand ce dernier sort de prison, le perso de Nicholson par donc retrouver celui qui lui a pris sa fille et lui annonce qu’il va le tuer. Si d’un côté on est très sensible au désespoir de Nicholson, le film nous amène à ressentir la détresse, le poids de la culpabilité du chauffard (joué par David Morse, le frère flic de Indian Runner). Peu à peu, il y a donc comme un renversement. Et le plan final, qu’il faut moins lire littéralement que comme un symbole fort de ce qui s’est joué durant tout le film, nous donne un espoir immense envers l’humanité. Sean Penn s’est toujours battu pour des idéaux nobles et sa confiance en l’humain rejailli naturellement de ces films.

En 2001, il réalise son troisième long, The Pledge, toujours avec Jack Nicholson. Celui-ci interprète un détective à quelques heures d’une retraite bien méritée. Son commissariat va être appelé sur une scène de crime. Une fillette retrouvée assassinée, le crime le plus sordide qui soit. Il fait la promesse aux parents qu’il retrouvera le coupable… De tous les films de Sean Penn, celui-ci est le plus bouleversant. Et les autres ne le sont pourtant pas beaucoup moins. Le plus bouleversant peut-être car Sean Penn y laisse moins de place à l’espoir. Le crime ne sera pas résolu. Le détective ne mettra jamais la main sur le meurtrier et va, au contraire, abandonné à cette tortueuse enquête sa santé mentale. Pourtant, The Pledge n’est pas un film désespéré. Les relations entres les personnages tendent vers un certain espoir. Dans ce film, le perso de Nicholson se heurte à un mur de communication. Il est un solitaire est c’est en ce sens qu’il va mener son enquête. Sean Penn capte la sensibilité de cet homme, son humanité. A travers sa réalisation toujours très pudique et sincère, la musique de Hanz Zimmer, il arrive à véhiculer des émotions et faire de ainsi de son cinéma une expérience forte.

Preuve de son attachement à l’humain, à son refus de toute caricatures, Sean Penn livrera en 2002, ce qui reste à ce jour son dernier film : le segment américain de la série de courts-métrages en hommage aux victimes des attentats du 11/09/2001 intitulée 11′ 09″ 01. Le court de Sean Penn est sans aucun doute le plus beau, le plus poignant de tous ces films. Entre tragédie personnelle et hommage a la ville dans son ensemble, il livre un film intelligent, sensible, optimiste etc… Et loin de tout apitoiement malhonnête.

Sean Penn est un personnage difficile a cerner mais passionnant et même essentiel. Depuis The Pledge, il n’a plus tourné en tant que réalisateur. Mais il avait déjà mis 4 ans puis 7 ans entres ces précédents films alors il ne s’agit pour nous que de patienter. Sean Penn prend à l’évidence un soin énorme à faire les films qu’il choisit de faire. Le résultat a toujours été à la hauteur. Il y a une cohérence artistique dans toutes ces oeuvres, un style identifiable, un propos sans cesse réaffirmé qui lui appartient. De fait, il est un artiste incontournable.

Comme acteur, il reste très sélectif dans ces choix. Il a obtenu enfin la reconnaissance de ses pairs en obtenant l’Oscar pour son rôle dans le magnifique (mais néanmoins très noir) Mystic River de Clint Eastwood. A Noter combien ce film aurait pu être réaliser par Penn lui-même. En effet, il y a tant de ressemblances (thématiques, stylistiques, narratives etc…) entre ce film et ceux de Penn que l’on pourrait facilement envisager que Sean Penn en aurait fait une oeuvre aussi exceptionnelle que ce qu’en a fait Eastwood. Il n’est donc pas surprenant de retrouver Sean Penn au casting de ce film. Pas plus que sa présence à celui de 21 grammes, un film là aussi magnifique et humain réalisé par un de ses meilleurs amis, le mexicain Alejandro Gonzalez Innaritu.

Sean Penn, cet écorché vif ami de Charles Bukowski à qui il a dédié Crossing Guard, mérite plus que quiconque que l’on s’intéresse à lui, que l’on se plonge dans son travail, que l’on écoute ce qu’il dit. Il est intelligent, sensible, intègre et, dans le monde du show business comme partout ailleurs peut-être, il est rare de pouvoir se référer à des gens comme lui…

Lire aussi :

  1. The Last Face de Sean Penn (2016)
  2. Into the wild de Sean Penn (2007)
  3. L’Interprète (The Interpreter) de Sydney Pollack (2005)
  4. Fair Game de Doug Liman (2010)
Email

Laisser une réponse