L’Ordre et la morale de Mathieu Kassovitz (2011)

Sale décennie que celle des années 2000 pour Mathieu Kassovitz (le réalisateur, car comme acteur il a connu plus de réussite). Celui qui s’est imposé comme l’un des plus grand espoirs du cinéma français avec La Haine (1995) s’est égaré au tournant du  XXIe siècle : une adaptation boiteuse de Jean-Christophe Grangé (Les Rivières Pourpres, 2000), un film de fantôme raté à Hollywood (Gothika, 2003), une deuxième expérience américaine désastreuse, plombée notamment par son conflit avec Vin Diesel, la star du film (Babylon A.D, d’après Maurice Dantec en 2008) … Ce fût la dégringolade et on osait plus y croire. Mathieu Kassovitz a quand même toujours été un réalisateur doué, alors il ne fallait pas désespérer, preuve en est maintenant avec L’Ordre et la morale.

Non seulement Kassovitz est de retour en France, mais il a aussi renoué avec son producteur historique, Christophe Rossignon. Les deux ont lié leur destin. Rossignon a démarré dans la production en produisant les courts-métrages de Kassovitz (et de Tran Anh Hung, son autre frère d’arme) puis  Métisse, son premier long-métrage en 1993. Leur collaboration s’étendra avec La Haine (Prix de la mise en scène à Cannes en 1995), puis Assassin(s) qui suscita un tollé, à Cannes également, lors de sa présentation en 1997. Les deux ont ensuite creusé leur sillon chacun de leur côté, pour mieux se retrouver presque quinze ans après à partager un même générique. Ce n’est peut-être pas un hasard alors si le cinéma de Kassovitz retrouve des couleurs, enfin.

Ces dernières années, Kassovitz à plus fait parler de lui pour ses prises de positions sur le 11/09 ou contre la politique de Nicolas Sarkozy. On n’y reviendra pas ici. Juste trouve t’il dans ces sujets là matière à taper dans la fourmilière. Depuis ses débuts, Kassovitz martèle un discours enragé,  en faveur des défavorisés, contre le racisme, contre la pensée unique, le diktat de certains médias et les manipulations du pouvoir etc.  L’Ordre et la morale lui fournit l’occasion d’enrichir encore son propos, de transmettre ses sentiments de colère et de révolte.

Le film est basé sur des faits historiques, une face sombre de l’histoire moderne de la France, un évènement sur lequel on ne revient pas ; sur lequel – a priori – il n’existe aucun film et presque aucun livre (le film s’appuie notamment sur La Morale et l’action de Philippe Legorjus, capitaine du GIGN au moment des faits). La France a toujours eu beaucoup de mal à assumer son histoire coloniale.

En Nouvelle-Calédonie, à l’avant veille du premier tour de l’élection présidentielle de 1988 opposant Jacques Chirac, alors Premier ministre RPR, et François Mitterrand, le Président sortant, un groupe d’indépendantistes kanaks membres du FNLKS attaque un poste de la Gendarmerie nationale. Les indépendantistes projetaient une occupations pacifiste, en vue de faire pression sur le débat de la présidentielle, mais l’attaque dégénère. Quatre gendarmes sont tués dans une fusillade. Les autres gendarmes sont séparés en plusieurs groupes et retenus en otage à divers endroits de l’île.

La situation devient un enjeu politique sensible et tout le principe du film consiste pour Kassovitz à montrer comment des vies humaines ont été sacrifiés inutilement, alors qu’une solution diplomatique était possible, sur l’autel d’une élection à remporter. Kassovitz concentre l’essentiel de son regard sur l’échange qui a lieu entre le Capitaine du GIGN Philippe Legorjus (interprété par Kassovitz lui-même) et le chef des preneurs d’otages, Alphonse Dianou. Legorjus gagne la confiance de Dianou, et les deux hommes, au-delà de la méfiance initiale, comprennent qu’ils partagent un certains nombre de valeurs. Dianou donne sa confiance à Legorjus pour qu’il puisse les sortir de la situation d’impasse dans laquelle il s’est réfugié. Legorjus lui donne sa parole.

On sait, dès la première séquence, que l’histoire se terminera dans un bain de sang. Si on en est arrivé là, c’est à cause de ce qui se joue dans les couloirs de l’Elysée et de Matignon. Les cabinets oeuvrent en sous-mains et Chirac est le partisan de la fermeté, il doit assoir son autorité. La pression sur l’île d’Ouvéa est maximale. 300 militaires ont été envoyés depuis Paris et Bernard Pons, Ministre des Départements et territoires d’outre-mer dans le gouvernement de Jacques Chirac, est dépêché sur place. Ainsi, les preneurs d’otages sont eux même pris en otage par les politiques. En clair, Chirac a plutôt intérêt à un assaut du GIGN, ce qui signifie du sang et des larmes, alors qu’une solution pacifiste, née du dialogue entre Legorjus et Dianou, était possible. Rétablir l’ordre oui, mais peu importe la morale.

Ainsi, Mathieu Kassovitz prend le parti de rejeter la faute sur les hommes politiques et remet en cause l’Histoire officielle. Clairement, l’Etat et son Armée n’ont pas le beau rôle. On est à l’inverse d’un film comme L’Assaut de Julien Leclercq, un film plutôt tout à la gloire de l’action du GIGN. Mathieu Kassovitz choisit lui un autre camp. Sa démarche n’est pas dédiée à un objectif de spectacle, le film est d’abord militant. Kassovitz dénonce l’action de l’Etat, le colonialisme de la France qui, encore en 1988, s’applique à détruire les coutumes et la culture d’un peuple pour son intégration à la République. Ce mépris des plus hautes autorités, on le retrouve dans un contexte très différent, mais sous haute tension également et qui paralyse Mayotte actuellement dans une quasi indifférence générale en Métropole.

Le film réouvre des plaies que certains croyaient fermées. Il suscite des questions. On peut reprocher à Kassovitz une trop grande fracture entre les deux camps et une représentation finalement trop manichéenne. Cela n’empêche pas L’Ordre et la morale d’être passionnant, et de contenir quelques grands moments de cinéma. La maîtrise visuelle de Kassovitz s’accorde ici avec  justesse au sujet du film. Il ne tombe jamais dans l’esbroufe, la gratuité ou la surenchère. L’Ordre et la morale marque son vrai retour aux affaires. On retrouve un Kassovitz toujours mordant, toujours enragé, et qui ne devrait pas manquer de diviser encore. Le film laisse en tout cas difficilement indifférent.

Benoît Thevenin

L’Ordre et la morale ****

Sortie française le 16 novembre 2011

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