Le Havre de Aki Kaurismaki (2011)

Pendant que Woody Allen tourne à Paris, le cinéaste finlandais Aki Kaurismaki – à l’instar du trio belge Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy avec leur nouveau film La Fée, présenté à la Quinzaine des réalisateurs 2011 – pose ses caméras au Havre, la cité portuaire normande déjà bien filmée par Jean Vigo (L’Atalante, 1934) et Marcel Carné (Quai des brumes, 1938).

Kaurismaki développe là son rapport d’amitié avec la France : cameo dans Aaltra de G. Kervern et B. Delépine, présence régulière au festival de Cannes, mais aussi emploi régulier d’acteurs français : Jean-Pierre Léaud dans J’ai engagé un tueur (91) et La Vie de bohème (93) ; André Wilms dans La Vie de bohème, Juha (99) ainsi qu’une apparition dans Les Leningrad Cowboys rencontrent Moïse (95)… Et c’est à ce même André Wilms que Aki Kaurismaki confie le premier rôle dans Le Havre.

Surtout, il n’est pas de meilleur ami que celui qui sait vous regarder au fond des yeux pour vous dire ce qui ne va pas chez vous. Le Havre n’est pas un choix hasardeux de sa part. Kaurismaki reste fidèle au sens comico-burlesque qui a fait sa renommé, renoue aussi avec la conscience sociale de ses premiers films, et livre un film qui sur le ton de la comédie dénonce la traque par l’Etat français – a travers sa Police – des immigrés clandestins en transit sur les côtes de la Manche. Le sujet n’a pas pas été abandonné par les cinéastes français. Philippe Lioret avec Welcome (2008) et Jean-Pierre Améris avec Maman est folle (pour la télé en 2007) avaient chacun abordés la question et à leur manière de la « jungle » de Calais. Kaurismaki, sans doute du fait de sa nationalité, a lui un  regard plus neutre, plus de recul, et son film a une portée moins politique que plus généralement humaniste.

André Wilms incarne un modeste cireur de chaussure installé sur les quais de la Gare du Havre. Il se satisfait de cette petite vie rangée, un peu marginale, avec un  petit sens de la duperie qui fait aussi son originalité. Le personnage à l’air constant, à la fois léger et inconséquent ou plutôt faussement naïf.  Un jeune immigré clandestins d’origine africaine  débarque soudainement dans sa vie et Marcel Marx  va s’attacher à le protéger.
Au même moment, Arletty (les noms des personnages ne sont décidément pas choisit au hasard), l’épouse de Marcel Marx jouée par Kati Outinen -l’actrice fétiche de Kaurismaki – tombe mystérieusement et gravement malade. Le médecin de cette dernière est interprété par Pierre Etaix, le dernier grand héritier du burlesque à la française, et ça aussi ce n’est pas un hasard.

Rien n’entame le moral de Marcel et finalement, la conjugaison des bouleversements dans sa vie provoque son réveil social. Marcel prend des risques pour le jeune africain, et dans le même temps, les commerçants qui se méfiaient de Marcel, se montrent solidaires. La menace est incarnée par Jean-Pierre Darroussin, le commissaire de Police qui dirige la traque de cet immigré qui a réussi à échappé une première fois à ses hommes. Le seul personnage véritablement mauvais est finalement ce délateur anonyme interprété par Jean-Pierre Léaud.

Le personnage de Darroussin est lui moins une menace qu’il n’y parait d’abord. Kaurismaki fait confiance aux Hommes. Ce sont eux qui triomphent dans le film. Le cinéaste oppose l’individu, sa conscience de l’autre, à l’appareil d’Etat, froid, implacable, sans discernement et représenté par la Police. Ainsi, Kaurismaki offre un film simple et humainement beau, critique vis à vis de la politique de l’Etat français quant à l’immigration clandestine, mais qui fait le choix du sourire, et de la pudeur poétique pour rallier les suffrages. Le Havre a ainsi valeur de fable, une belle fable, avec sa morale volontairement naïve mais salutaire et qui réchauffe l’âme.

L’humour, surtout quand il est autant délicat, est la meilleure arme contre les préjugés et l’indifférence. C’est contre ça que le personnage de Marcel Marx est en lutte, c’est tout l’objet du message du film, et c’est bien ça qui nous touche d’abord. La simplicité humaniste de Le Havre est un véritable cadeau.

Il faut signaler aussi l’autre cadeau offert par Kaurismaki avec ce film. Il est musical – car bien sûr Kaurismaki ne se renie en rien comme on l’a déjà vu, et pas non plus du point de vue de son amour pour le rock. Il offre une séquence entière de concert du groupe havrais Little Bob, tout droit issu des années 70 et dont probablement beaucoup avaient perdu la trace. La chanson utilisée s’intitule Libero et elle va très bien avec l’esprit du film, lui confère même une véritable énergie. A tous les niveau, Le Havre nous râvit donc.

Benoît Thevenin

Le Havre ****

Sortie française le 21 décembre 2011

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Un commentaire sur “Le Havre de Aki Kaurismaki (2011)”

  1. Patricia dit :

    je n’ai pas aimé…j’en suis la première étonnée, j’aime d’habitude cette ambiance, cette lumière, cette lenteur, ce décalage …et là rien, la sauce n’a pas pris!!! dommage

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