The Tree of life de Terrence Malick (2011)

A l’instar de Stanley Kubrick, Terrence Malick nourrit sa légende autant par sa discrétion maladive que par l’ambition hors norme de son cinéma, couplée à une indépendance artistique quasi unique en son genre vis à vis des studios. Ainsi, Terrence Malick a t’il passé plus d’un an en salle de montage pour peaufiner The Tree of life, film attendu à Cannes en 2010 et qui ne débarque sur la croisette, en compétition, que l’année suivante. Le projet a suscité une impatience rare, due à la fois à la réputation de l’auteur, mais aussi à son ampleur, comparable à un 2001, l’odysée de l’espace, a priori.

La comparaison avec Kubrick est souvent faite et elle est finalement légitime. Les deux cinéastes ne poursuivent pas les mêmes obsessions mais The Tree of life et 2001, s’ils ne se rejoignent pas, peuvent se mesurer l’un contre l’autre à leurs différences. Dans 2001, Kubrick embrasse l’histoire de l’humanité tout entière, de la préhistoire au futur proche, avec une ellipse monumentale contenu dans un effet de montage sans doute le plus audacieux et le plus commenté de toute l’Histoire du cinéma. Avec 2001, Kubrick oppose à Dieu l’idée d’une puissance extra-terrestre supérieure. Rien dans le cinéma de Kubrick n’accrédite la croyance en un Dieu, aucune place n’est faite à la religion et Kubrick s’intéresse à l’Homme dans ses contradictions, toujours placé contre lui-même.

Le cinéma de Malick poursuit une autre idée. La place du mystique et de la religion est centrale dans l’oeuvre du cinéaste, mais toujours confrontée à celle accordée à Dame Nature. Dans les trois derniers films de Malick, La Ligne Rouge, Le Nouveau monde et The Tree of life, il y a ces images d’arbres filmés en contre-plongée et dont la cime s’élève haut jusqu’à pénétrer le ciel céleste et hypothétiquement divin. Par ces images récurrentes, Malick établit comme un lien direct entre deux concepts philosophiques forts : la croyance en Dieu, et celle en Dame Nature, avec au centre l’Homme qui se débat.

Depuis ses débuts, Malick a choisit son camp. Il est le cinéaste de la nature, il lui rend hommage. La forêt, le poumon de l’humanité, est le lieu chéri de son cinéma. Malick s’attache film après film à replacer l’Homme au coeur de la Nature, avec à chaque fois une conclusion pessimiste : la nature sacrifiée par l’Homme à son profit.

Tout cela nous mène à The Tree of life, une oeuvre lyrique, un poème plutôt qu’un film narratif classique, ou le cinéaste met en parallèle les deux visions du monde auxquels l’Homme croit. L’idée est énoncée dès les premiers temps du film : « Il y a deux voies, celle de la Nature, celle de la grace. A vous de choisir ».

Malick explore effectivement ses deux voies. Il cite la Bible d’emblée, les écrits de Job faisant référence à la création du monde (« Où étais-tu quand je fondais la terre ? ») et évoque le destin d’une famille pieuse de la middle class américaine, dans les années 50. D’abord, Malick montre cette famille confrontée à un deuil, celui d’un fils. La séquence est sublime d’émotion et de beauté. Malick transcende par son style une scène qui nous rappelle celle dans le Soldat Ryan de Spielberg ou la maman Ryan s’effondre dans l’embrasure de la porte de sa maison alors qu’une voiture de l’armée arrive pour lui annoncer ce qui est le plus intolérable pour elle. En quelques plans et sans mot, tout est dit. Idem ici  mais de façon plus elliptique et évanescente, avec une voix off qui unit cette mort au rapport à Dieu, un Dieu rassurant, en qui l’on croit car il est un guide et propose un refuge à la souffrance.

L’autre voie est empruntée dans cette courte séquence d’une vingtaine de minutes seulement, où Malick condense l’histoire de la création du monde, de la formation de l’univers à l’arrivée de la vie sur Terre. Malick montre là la version évolutionniste de l’histoire de la vie sur Terre, qui s’oppose donc à celle d’un Dieu créateur.

A partir de là, The Tree of life n’a d’autre but que d’interroger le sens de la vie, question épineuse et sans réponse véritable. Dieu s’invite dans la vie des hommes pour proposer une réponse à cette question, et c’est d’abord à Dieu que se réfère la famille dans le film. La quête de sens n’est cependant contenue exclusivement dans les questions multiples adressées à Dieu. Au sein de la famille même, s’opposent deux caractères. La mère se réfère à Dieu, le père renvoie à la Nature. Son salut a lui passe par le travail, la transmission de valeurs, d’une éducation. L’Homme ne s’en remet pas uniquement à Dieu, il se construit, dans l’amour comme dans le conflit, et trouve sa voie naturelle. Le père indique une voie mais invite à l’émancipation. A son fils qui lui ressemble le plus, avec qui un conflit va naître, il dit qu’il ne veut pas qu’il lui ressemble, qu’il fasse comme lui. (« Dis toi que tu peux tout faire, ne suit pas mon exemple / Ce que je voulais c’est que tu deviennes ton propre chef »). Jack doit trouver sa voie seul quitte à développer une haine envers son père autoritaire. L’éducation, l’expérience, comme seuls vecteurs de l’évolution de chacun, dans un monde concurrentiel et dur, ou il est inculqué qu’il faut se battre pour réussir, c’est à dire, là, l’idée du darwinisme social.

Malick offre avec The Tree of life autre chose qu’un film de personnages. L’histoire compte moins pour ce qu’elle raconte que pour ce qu’elle renvoie comme idées et comme émotions. Malick construit son film par fragments juxtaposés, une succession de moment qui accolés aux autres fabriquent du sens. Le cinéaste sonde l’âme de ses personnages, leurs caractères, et la narration ne répond pas aux canons classiques. L’histoire est presque sans enjeu, sans figures scénaristiques convenues, ni empêchement, ni chute etc.
Malick visite l’enfance de Jack (joué adulte par Sean Penn) par petite touches, par des impressions mélangées. S’il est un observateur omniscient, Malick reste discret et modeste quant à ces personnages et leurs vies. Il n’y a là aucun jugement moral, aucune leçon de donnée. Il renvoie les personnages à la fragilité de leurs existences. Le père est montré comme quelqu’un d’ambitieux et strict. Il finit par connaître l’échec et perd sa crédibilité en même temps que son autorité. Il n’est pas infaillible. Au contraire il est impuissant, par exemple lorsqu’il s’agit de sauver un enfant de la noyade. Dans le regard de ses fils, il tombe de son piédestal et se retrouve contesté. Les enfants, surtout Jack, apprennent à tuer le père pour grandir eux même.

Au final, Malick conduit une réflexion intime, confronte le spectateur à ses propres émotions. The Tree of life est un film lumineux qui questionne et qui rassemble (comme cette scène finale ou Jack adulte visite en rêve les visages de ceux qu’il a aimé tout au long de sa vie), un film ou Dieu et Nature ne sont pas opposés mais ne font qu’un, se rejoignent, se nourrissent mutuellement dans une grande idée générale : la place de l’homme dans le monde, son origine et sa quête. The Tree of life est sans doute beaucoup moins mystérieux qu’il n’en à l’air de prime abord. Au contraire, le revisionnage s’impose tant toutes les clés apparaissent peu à peu évidentes sans pour autant altérer la beauté du message et la pureté de l’émotion qui nous envahit.  Il n’y a là rien de boursouflé ou de prétentieux. C’est à l’inverse un film tout ce qu’il a de plus humble et sensible, un poème lyrique et universaliste qui n’en finira pas de nous fasciner.

Benoît Thevenin

The Tree of life *****

Sortie française le 17 mai 2011

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  1. L’Arbre (The Tree) de Julie Bertuccelli (2010)
  2. La Vie Aquatique (The Life aquatic) de Wes Anderson (2005)
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  4. Les meilleurs films de 2011 selon Laterna Magica
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3 commentaires sur “The Tree of life de Terrence Malick (2011)”

  1. foxart dit :

    C’est très intéressant, tout ça… vraiment…

    Mais non… lol

  2. non seulement c’est intéressant, mais en plus c’est très vrai!

  3. selenie dit :

    Première chose qui frappe l’incroyable beauté des images et le lyrisme envoutant du film, Malick est clairement un grand artiste du 7ème art… L’idée est excellente car toutes les scènes de paysages, espaces, natures etc… ne sont que paraboles comme ça l’était sur « 2001 l’Odyssée de l’espace » en son temps. Un onirisme plus contrôlé et une partie « Sean Penn » plus étoffé voilà ce qu’il aurait fallu. 3/4

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