Harakiri (Seppuku) de Masaki Kobayashi (1962)

A quelques jours de la présentation à Cannes de « Harakiri », adaptation par Takashi Miike – et en 3D – du roman de Yasuhiko Takiguchi, retour sur le film que Masaki Kobayashi tira de ce roman et qui lui permit d’obtenir le Grand Prix du jury en 1963 à Cannes déjà …

Au 13e jour de mai 1630, une journée parfaitement ordinaire pour les membres du clan Iyi, un ronin (samouraï sans seigneur) se présente pour effectuer une requête. Déshonoré du fait de sa déchéance, il demande au conseiller du clan l’autorisation de se trancher l’abdomen dans la cour du clan, pour mourir dignement, selon le code samouraï (bushido). Le conseiller est très méfiant et soupçonne un plan du ronin pour être pris en pitié et rallier le clan. Tsugumo, le ronin, assure de son honnêteté mais demande au conseiller de bien écouter son histoire…

Le film commence par des plans sur l’armure samouraï du clan Iyi, soit le symbole de la puissance du clan. L’enjeu se situe déjà là. Avec Harakiri, Masaki Kobayashi va s’ingénier à nous montrer à quel point les apparences peuvent être trompeuses.

Le conseiller du clan Iyi fait part de sa méfiance envers Tsugumo et son éventuelle tromperie. Il raconte d’abord comment il ne s’est pas laissé duper par un autre ronin venu se présenter au clan pour les mêmes raisons, quelques temps auparavant. Le bushido est sacré, chaque samouraï doit a priori s’y plier, mais la vérité est parfois plus complexe qu’elle n’en a l’air.

Harakiri se compose tel un film de procès : Le ronin se trouve dans la position de l’accusé dans une cour qui est comme la cour d’un palais de justice, entouré par les samouraïs du clan, des témoins en place des jurés, et face à un conseiller qui fait lui office de juge. La loi samouraï est impitoyable. Motome, le premier ronin a faire place,est comme celui que tout accuse et que rien ne pourra sauver. L’histoire empruntera cependant de nombreux détours, des flash back, qui viendront nous éclairer. Chacun prendra la mesure de ce qui a conduit Motome à vouloir se faire harakiri ce jour là.

Dans la première heure du film, le spectateur du film est donc d’abord confronté à l’histoire de Motome, le ronin qui s’est présenté avant Tsugumo. Soupçonné de tromperie, il est jugé de façon péremptoire et forcé à se trancher l’abdomen sans perdre plus de temps. Ce qui arrive à Motome est particulièrement cruel mais on aura plutôt tendance à croire comme le conseiller que Motome était un samouraï sans honneur qui aura cherché à tromper son monde pour sauver sa peau.

Le témoignage de Tsugumo va ensuite mettre à mal ce jugement impartial et réaffirmer l’injustice profonde dont aura été victime Motome. Le système en prend un coup.
L’histoire de Tsugumo va révéler d’autres secrets qui vont remettre totalement en question le code moral des samouraïs. Tsugumo était un samouraï avec une famille pour laquelle il s’est sacrifié en renonçant à son honneur de guerrier. La vérité qu’il va révéler va bouleverser le clan Iyi, montrer que l’honneur du samouraï n’est qu’un concept illusoire et mensonger.

Ce que Kobayashi dénonce aussi, c’est cette situation de misère sociale qui accule ceux qui en sont victime, les pousse à se mettre hors-jeu, et même hors-la-loi. En cela, le film à un sens contemporain, ou plutôt intemporel. Harakiri montre que la loi, autant sacrée peut-elle être, est parfois corrompue, ou injuste, à tout le moins sévère et de toute façon nécessairement trahie. Harakiri montre que ceux qui sont garants de cette loi ne sont pas forcément complètement en phase avec celle-ci. Tout est question de rapport de force, d’une hiérarchie bien établie, d’apparences préservées coûte que coûte. Au début du film, il est consigné que ce jour du 13 mai 1630 a été un jour parfaitement ordinaire. Il n’en a rien été. Des masques sont tombés. L’apparat symbolique du samouraï a été littéralement mis à terre et piétiné.

Les derniers mots du film sont pourtant comme les premiers : ce jour là était ordinaire, quoi qu’un étrange individu est venu les visiter. L’armure du samouraï est de nouveau en place. Rien ne change, l’équilibre de la seigneurie et de la loi à laquelle elle se réfère est préservé. L’honneur est sauf, en apparence du moins.

Benoît Thevenin

Harakiri ****1/2

Lire aussi :

  1. Rivière Noire (Kuroi Kawa) de Masaki Kobayashi (1957)
  2. The Rebirth (Ai No Yokan) de Masahiro Kobayashi (2007)
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