Shotgun Stories de Jeff Nichols (2007)

Dans une petite ville américaine de l’Arkansas, a la mort du père qui les avait abandonnés, trois frères ravivent les tensions avec la seconde famille de celui-ci.

Jeff Nichols cite spontanément Terrence Malick parmi ces réalisateurs fétiches, et c’est une influence que l’on devine (pas seulement à cause de ces champs à perte de vue) dans ce premier film, tourné dans (ou près) de sa ville natale de l’Arkansas. La référence n’est pas écrasante, Shotgun Stories s’inscrit juste, on s’en rendra compte à mesure que le film se déroule, dans une sorte de lignée naturelle qui prend comme point d’origine La Ballade sauvage, à l’instar de L’Autre Rive de David Gordon Green, autre histoire de rivalité familiale auquel Shotgun Stories ressemble un peu, et qui est justement produit par Terrence Malick. David Gordon Green est lui producteur de Shotgun Stories. Ce n’est donc pas complètement une vue de l’esprit, si ces films convoquent les souvenirs de l’un ou de l’autre, c’est finalement assez naturel.

La trame narrative de Shotgun Stories est plutôt basique. Les personnages sont humbles, contiennent une violence primaire dont on ne peut que s’attendre qu’elle jaillisse vite. Jeff Nichols ne perd justement pas de temps à placer son récit dans un contexte de tensions fortes et à mettre en place l’engrenage inéluctable. La chaleur de l’été qui accable les personnage ne fait qu’augmenter la fièvre ambiante. La raison restera primaire, ou bien bafouée car s’il y a là des valeurs qui comptent, elles ne dépassent pas celles de l’honneur et du territoire.

Le conflit larvé entre les deux familles, on ne le comprend qu’a demi-mot. Il n’y a vraisemblablement pas que cette histoire de père qui fuit ses responsabilités pour s’engager dans le camp d’en face. Le ressentiment est peut-être né à ce moment là, mais il peut tout aussi bien être plus ancien tant il semble profond et enraciné.

Dans cette histoire, il n’y a pas de gentil. Les personnages sont tous minables, désoeuvrés. Celui qui passe à priori pour le gentil (Michael Shannon), on le découvre dans la scène d’ouverture avec le dos criblé d’impacts de balles amorties par un gilet de protection. C’est là les séquelles d’un braquage qui a un jour mal tourné. Il n’y a tout simplement pas dans cette histoire de bons ou de gentils, mais des personnages ambivalents et extrêmement nuancés.  Celui qui est dans une position intermédiaire entre les deux clans rivaux, Shampoo (G. Alan Wilkins), passe finalement son temps à favoriser les conditions des règlements de compte. Son comportement est tellement stupide qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’il le fait exprès.

Ce sera oeil pour oeil, dent pour dent, sans rien pour dévier de cette confrontation brutale. Les clans passent leur temps à se chercher, se trouver, se provoquer, et la haine est telle que ça ne peut pas bien se terminer.

Jeff Nichols a écrit ce film en pensant à Michael Shannon, qui a donc accepté le rôle. L’acteur, tellement impressionnant dans Bugs ou dans Les Noces Rebelles, ne l’est pas moins ici. Il impose son charisme, par son regard et sa seule présence physique. Le personnage intériorise énormément sa colère mais ne lâche rien pour autant. Les discours n’ont pas de place ici, c’est un film taiseux, basé sur des non-dits jamais expiés apparemment.

Ce n’est pas un film de simple vengeance, c’est une histoire simple, ou la violence est intrinsèque au climat général, ou l’on se rend coup pour coup dans une espèce de trivialité qui ferait froid dans le dos si le cinéaste ne préférait pas détourner le regard aux moments fatals, si le cinéaste ne préférait pas chercher à tout prix une solution pour évacuer la tension, s’il ne souhaitait pas s’inscrire dans un registre mélancolique qui sera la note finale.

Car si Shotgun Stories conte une tragédie brutale, Jeff Nichols ne cherche pas à confronter absolument  les spectateurs à cette violence. Ce n’est pas un film pour heurter ou choquer. Ce qui marque, c’est la puissance de destruction contenue en chaque personnage et ce qu’elle évoque. Ce qui marque, c’est la fragilité de l’ensemble et l’injustice qui frappera les victimes les plus innocentes. La conclusion vise cependant à la conciliation, à la paix des armes, qui n’est pas gagnée mais qui démontre bel et bien que le cinéaste s’inscrit à contre-courant de toute une tradition du cinéma violent, exutoire, dont on pourtant cru au départ, par son seul titre, que Shotgun Stories allait compléter encore. Non, du tout, c’est un film subtile, à hauteur d’homme et qui a une vision de l’humanité qui n’est ni tellement sombre, ni désespérée, mais nuancée et sans emphase.

Benoît Thevenin

Shotgun stories ****

Sortie française le 8 janvier 2008

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