L’Etrangère (Die Fremde) de Feo Aladag (2010)

L’Etrangère aurait très bien plus s’appeler « L’Insoumise »… Pour protéger son jeune fils, Umay (Sibel Kekilli) fuit Istanbul et son mari violent pour l’Allemagne où vivent ses parents. Sa famille, prisonnière des valeurs de la communauté turque, n’accepte pas la situation. Pour le papa d’Umay, son fils Cem doit vivre auprès de son père et elle s’est déjà déshonorée en le fuyant. La famille projette de rendre Cem à son père, ce qui pousse Umay à fuir encore et attiser un peu plus la haine contre elle, et l’humiliation sur les siens.

Umay est interprétée par Sibel Kekilli, la révélation de Head on (2004) de Fatih Akin, le plus célèbre des jeunes réalisateurs allemands, d’origine turque, et qui dans chacun de ses films explore les rapports entre l’Allemagne et la Turquie. Feo Aladag réalise avec L’Etrangère son premier long-métrage et, peut-être du fait de la présence de Sibel Kekilli au casting, on ne peut s’empêcher de penser un peu à Head on, mais aussi à Frères d’exil (2005) d’un autre auteur Germano-turc, Yılmaz Arslan.

Avec Head on, L’Etrangère partage ce principe d’immersion dans la communauté turque en Allemagne, ses valeurs et, un peu, son folklore ; ce que cela implique de préjugés et de cloisonnement social, de violences physiques et morales au sein de la communauté. L’Etrangère évoque aussi Frères d’exils, justement pour ce qui est de la violence au moins.

Pour autant, L’Etrangère ne subit pas le poids de ces comparaisons. Les connexions se font ou pas. Le récit développe une intrigue propre, qui contient ses problématiques et une intrigue relativement singulière qui va dans la lignée des exemples précités.

Ce qui frappe, c’est la détermination du personnage de Umay, prête à tous les sacrifices pour son fils, qui ne se soumet à aucune règle et ne raisonne que dans l’intérêt qu’elle croit le meilleur pour son garçon. Umay prend le risque, auprès de ses proches comme auprès du spectateur, de paraitre être une égoïste inconséquente, une provocatrice qui cherche comme à s’attirer les ennuis. La vérité est plus complexe, entre son ambition farouche de rester libre, la protection de Cem, et son amour sincère pour ses parents, ses frères et sa soeur.

Un douloureux rapport de haine se dessine entre eux, à cause de la communauté et ce qu’elle induit comme pression. La haine n’est pas véritable, les personnages sont tous meurtris par l’écart qui grandit et les sépare irrémédiablement. Il y a de la place pour la réconciliation mais elle est fragile, et conditionnée au fait que toujours Umay fera passer Cem avant quiconque d’autre.
Cet entremêlement de rapports est particulièrement bien exposé à notre regard. Le récit est finalement assez simple, sous tension en permanence, émouvant et même poignant. Les déchirements familiaux nourissent la sensibilité d’un film à fleur de peau, et qui à la dernière image, nous terrasse et nous laisse sans voix.

Benoît Thevenin


L’Etrangère – Note pour ce film : ****

Sortie française le 20 avril 2011


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2 commentaires sur “L’Etrangère (Die Fremde) de Feo Aladag (2010)”

  1. Bamboo dit :

    J’avais déjà envie de voir ce film. Là, je deviens impatiente :-)

  2. foxart dit :

    Pareil, je ne lis pas avant d’avoir écrit quoique ce soit mais j’ai également beaucoup beaucoup aimé le film… Et l’actrice, que je découvrais, n’ayant toujours pas vu Head-on (shame !)

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